Mémoire de DEA présenté et soutenu par Marika Demangeon sous la direction de Sandra Szurek en novembre 1997 [Page suivante] - [Répertoire Mines antipersonnel] IntroductionUne mine terrestre est définie comme un "engin pyrotechnique conçu pour être déclenché par une action involontaire de l'ennemi, afin de provoquer la mise hors de combat du personnel", selon les manuels militaires ou comme "un engin quelconque placé sous ou sur le sol ou une autre surface ou à proximité, et conçu pour exploser ou éclater du fait de la présence, de la proximité ou du contact d'une personne ou d'un véhicule", selon le droit actuellement en vigueur. Dans une brochure publiée en février 1997, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) présente d'autres définitions : "Une mine antipersonnel est un engin explosif conçu pour mutiler ou tuer la personne qui déclenche son explosion. Les mines sont des armes qui frappent sans que leur cible ou le moment de leur explosion ne soient définis. Des dizaines d'années après la fin des conflits, elles continuent à mutiler et à tuer indistinctement des soldats et des civils, des hommes et des femmes, des adultes et des enfants." Les dernières décennies ont vu se développer la gamme des mines antipersonnel et cette diversité des modèles entraîne une utilisation de plus en plus répandue et incontrôlée. Selon l'Union Interparlementaire, "quelque trois cent soixante modèles de mines terrestres antipersonnel - qui diffèrent par leur conception, le volume d'explosif qu'elles contiennent et le type de blessures qu'elles provoquent - ont été produites par au moins cinquante cinq pays à travers le monde. Le modèle de mines antipersonnel le plus courant est la mine à effet de souffle qui explose lorsque la victime marche directement dessus. D'autres types d'engins - tels que les mines directionnelles à fragmentation et les mines bondissantes - tuent ou blessent non seulement la personne qui a déclenché l'explosion mais aussi quiconque se trouve dans leur rayon d'action". Les mines à effets de souffle sont déclenchées par la seule pression d'un pas. Les mines à fragmentation sont installées au-dessus du sol et déclenchées par la traction d'un fil-piège : directionnelles, elles projettent des éclats métalliques à cinquante mètres ; bondissantes, elles dispersent les éclats métalliques sur un angle de trois cent soixante degrés. Les mines antichars et antivéhicules utilisées à des fins militaires ont aussi des effets antipersonnel. En outre, les munitions non explosées ont souvent des effets comparables aux mines antipersonnel. Voici comment Jody Williams, coordinatrice de la Campagne internationale pour l'interdiction des mines terrestres, présente leur évolution : "Les mines terrestres étaient déjà utilisées aux Etats-Unis pendant la guerre de Sécession. Cependant, telles que nous les connaissons aujourd'hui, les mines terrestres ont d'abord été mises au point au cours de la Première guerre mondiale en tant que moyen de défense antichar. Etant donné la taille des mines antichars, il était alors relativement facile, pour les troupes ennemies, de pénétrer dans les champs de mines et de s'emparer de ces engins pour les utiliser à leur tour. C'est la raison pour laquelle les mines antipersonnel ont été mises au point : ces engins explosifs à retardement, de taille bien plus modeste que leurs prédécesseurs, étaient dispersés sur toute l'étendue des champs de mines antichars pour en interdire l'accès aux soldats ennemis. D'abord utilisées pour protéger les mines antichars, d'un coût bien plus élevé, les mines antipersonnel ont ensuite "vécu leur propre vie". Conçues à l'origine dans un but essentiellement défensif, les mines terrestres ont été de plus en plus utilisées dans un but offensif". Les mines ont évolué de telle manière qu'elles peuvent être considérées comme des armes de dissuasion, mais aussi comme des armes légères de destruction massive à retardement. Leur usage ne se limite pas à la protection d'installations stratégiques. Outre qu'elles peuvent permettre de compenser une infériorité numérique en restreignant la mobilité des forces adverses, l'emploi des mines antipersonnel s'étend aux configurations les plus diverses, dans tous les types de conflits. Elles peuvent être dispersées à grande échelle pour provoquer un maximum de dommages. En effet, le CICR souligne qu'elles sont de plus en plus souvent utilisées pour semer la terreur parmi les populations civiles. Au fil des évolutions techniques, les mines deviennent de plus en plus difficiles à repérer, notamment lorsqu'elles sont en matière plastique, et causent des dommages croissants. Certaines mines rudimentaires sont faciles à produire ou peuvent être fabriquées artisanalement par les combattants tandis que d'autres sont équipées de systèmes de mise à feu électronique et de capteurs. L'écart se creuse entre les mines du pauvre à trois dollars et les engins les plus sophistiqués. Certains producteurs savent aujourd'hui fabriquer des mines programmables dont l'effet peut être limité dans le temps par autodestruction ou par autodésactivation. On parle d'autodestruction lorsqu'une mine est programmée pour exploser à un moment donné et d'autodésactivation lorsqu'elle est programmée pour devenir inefficace au bout d'un certain temps. Pourtant, il s'avère bien souvent difficile de deviner a priori si une mine est désactivée ou non. Des recherches en cours sur des systèmes dautodétonation après quelques jours pourront rendre les mines moins dangereuses après la fin des conflits. La prolifération des mines en plastique non détectables par les détecteurs de métaux rend le déminage plus périlleux. La dissémination des mines antipersonnel est très facile ; elles peuvent être directement emportées par les combattants et rapidement dispersées en grand nombre. En cas de troubles internes ou de guerre civile, le contrôle des populations est considéré comme un enjeu stratégique majeur. Il n'est pas rare que les non combattants paient un lourd tribut aux mines utilisées pour désorganiser leur vie quotidienne. Ainsi, elles sont fréquemment dispersées le long des ponts, des cours d'eau, des centrales électriques, sur les voies de communication, dans les ports et les aéroports, dans les systèmes d'irrigation, dans les champs et les forêts, les villes et villages. Selon le Département des affaires humanitaires de l'Organisation des Nations Unies, quelque cent vingt millions de mines actives sont dispersées sur le territoire de plus de soixante-dix pays. Le Secrétaire Général de l'ONU estime en 1995 que "malgré les efforts redoublés de la communauté internationale, on pose vingt fois plus de mines qu'on n'en enlève". Les activités de déminage sont souvent fort coûteuses et difficiles. Si aucune nouvelle mine n'était posée, il faudrait quelque onze siècles pour déminer la planète entière et il en coûterait environ trente-trois milliards de dollars. Le déminage représente un lourd fardeau financier pour les pays affectés, mais son coût humain est également important car c'est une activité dangereuse. De nombreux pays sont concernés par les mines antipersonnel, qu'ils soient producteurs ou pollués ; certains, comme le Vietnam, appartiennent même aux deux catégories. "Les transferts jouent un rôle crucial dans la crise mondial des mines terrestres. La quasi-totalité des mines terrestres disséminées dans les pays les plus gravement touchés sont de provenance étrangère. Ni l'Afghanistan, ni l'Angola, ni le Cambodge, ni la Somalie, ni le Mozambique n'ont jamais produit de mines, semble-t-il". Selon l'Organisation Non Gouvernementale Handicap International, les mines tuent ou mutilent chaque année environ vingt-six mille personnes de plus, dont 80% sont des civils, parmi lesquels de nombreux enfants. Plus de deux mille personnes sont tuées ou blessées chaque mois par l'explosion de mines, souvent touchées après la fin des conflits, car certaines mines peuvent rester actives pendant des décennies. Leur impact indiscriminé et prolongé est lourd de conséquences humanitaires, mais aussi économiques. Les dommages causés par ce que les ONG appellent les tueurs cachés ou armes sans maître, déclenchées au hasard par les victimes elles-mêmes sont énormes. Les mines antipersonnel favorisent la misère et l'exode et peuvent être considérées comme des polluants durables qui affectent gravement le milieu où elles sont implantées. Ainsi, dans la mesure où elles contribuent à une diminution des surfaces cultivables, elles constituent un facteur de surexploitation des terres. Pour faire face à ce fléau planétaire, plusieurs stratégies sont envisagées simultanément : évaluer et faire connaître l'étendue du problème, détruire les mines dispersées à travers le monde, sensibiliser les populations touchées, aider les victimes à se réinsérer socialement, empêcher l'utilisation de nouvelles mines en arrêtant la production et la commercialisation, éliminer les stocks, interdire leur emploi. Las de remédier aux effets dévastateurs des mines, un groupe d'Organisations Non Gouvernementales (ONG) décide de se préoccuper des origines du problème, c'est à dire de lutter pour enrayer leur prolifération. Pour mettre un terme à l'emploi des mines, il apparaît nécessaire d'établir des normes internationales pour interdire la production, la commercialisation et le stockage de ces engins. Constatant que le Protocole II de la Convention de 1980 qui réglemente l'usage des mines n'est pas parvenu à enrayer leur prolifération, le CICR, encourage une évolution du droit international humanitaire. Au début des années 1990, les ONG mobilisent l'opinion publique internationale pour que certaines organisations internationales et certains Etats jouent un rôle moteur et fassent évoluer la façon dont la question des mines est abordée. Rapidement, un sentiment d'horreur se développe dans l'opinion publique internationale. Ce mouvement d'opinion stigmatise les mines antipersonnel en tant qu'armes inhumaines et réclame leur interdiction totale, en se fondant sur les lois de l'humanité ; il incite les Etats à prendre des initiatives unilatérales ou collectives.
L'étude des normes juridiques internationales humanitaires et des règles spécifiques aux mines antipersonnel, en particulier la Convention de 1980 et son Protocole II montre leurs insuffisances devant l'ampleur de ce désastre mondial (I). Ces deux facteurs génèrent un mouvement international pour l'élimination des mines antipersonnel. Les organisations non gouvernementales, les organisations internationales et les Etats se mobilisent. Leur action dans le cadre de la Campagne internationale consiste à mobiliser l'opinion publique, à prendre des mesures unilatérales, à faire évoluer le droit international, la coopération et l'assistance internationales. Aujourd'hui, dans les conceptions stratégiques d'un nombre croissant d'Etats, le principe d'une utilisation contrôlée des mines laisse progressivement la place à celui de leur interdiction totale. L'analyse de l'action de la communauté internationale (II) montre que plusieurs processus diplomatiques vont concourir progressivement à parvenir à l'interdiction totale des mines antipersonnel. Après les espoirs d'évolution des règles de droit international déçus en mai 1996, lors de la révision de la Convention de 1980, plusieurs processus diplomatiques apparaissent au niveau international. Parallèlement au processus qui a pour cadre la conférence du désarmement, une floraison d'initiatives est impulsée lors de la conférence internationale stratégique d'Ottawa, en octobre 1996, qui lance le Processus d'Ottawa : la Déclaration d'Ottawa d'octobre 1996, la Déclaration de Bruxelles de juin 1997 et la négociation du projet de traité à Oslo, en septembre 1997. Si les négociations montrent que, dès lors que tous les Etats sont concernés, le processus d'élaboration de nouvelles normes est difficile, on peut toutefois espérer la signature de la Convention d'Ottawa, les 3 et 4 décembre 1997. Cette Convention impose l'interdiction totale d'employer, de stocker, de produire et de transférer des mines antipersonnel et prévoit des mesures de vérification de l'application du Traité. Elle renforce les processus d'assistance aux populations et insiste sur la coopération et l'assistance internationales en matière de déminage. [Introduction] [Partie I] [Partie II et conclusion] [Bibliographie] [Chronologie] |
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