Lutte contre les mines antipersonnel : Comment éradiquer ce fléau mondial ?

Partie I
(Page 2 sur 5)

Mémoire de DEA présenté et soutenu par Marika Demangeon sous la direction de Sandra Szurek en novembre 1997

[Page précédente] [Page suivante] - [Répertoire Mines antipersonnel]

Sommaire
Introduction

Partie I. Les règles juridiques et la mobilisation de la communauté internationale
Chapitre I. Les normes juridiques internationales applicables
Section I. Les principes fondamentaux du droit international humanitaire
Section II. Une réglementation internationale spécifique : la Convention de 1980 et son Protocole II
Chapitre II. L'ampleur du phénomène
Section I. L'utilisation des mines
Section II. L'impact démesuré des mines
Section III. Les organisations et la campagne internationale contre les mines antipersonnel
Section IV.Les initiatives unilatérales, régionales et internationales des Etats
Partie II. L'action de la communauté internationale
Conclusion
Bibliographie

Chronologie des conférences

Partie I. Les règles juridiques et la mobilisation de la communauté internationale

Les mines antipersonnel heurtent la conscience publique non seulement lorsqu'elles frappent des paysans, des femmes ou des enfants, mais aussi des combattants, car elles infligent des souffrances excessives, ce qui amoindrit les arguments selon lesquels l'usage de certaines catégories de mines pourrait être conforme au droit humanitaire. Même en temps de guerre, la personne humaine reste sous la sauvegarde des principes de l'humanité car le droit humanitaire est fondé sur la sauvegarde de la dignité humaine. Mais seules des règles précises permettent d'encadrer efficacement les choix stratégiques des Etats. La campagne contre les mines montre que l'évolution de la conscience publique peut stimuler celle du droit international. Les mines paraissent contraires aux principes les plus élémentaires du droit international humanitaire, en dépit des efforts de réglementation et de déminage. En effet, la réglementation établie en 1980 est largement insuffisante car elle laisse prévaloir une logique de contrôle des armements sur le développement du droit humanitaire.

Conjointement à de multiples résolutions d'organisations internationales, la résolution 51/45S de l'Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU), adoptée le 10 décembre 1996, peut être interprétée comme reflétant le développement d’une conscience publique selon laquelle la prolifération des mines antipersonnel est contraire aux principes généraux du droit humanitaire, leur usage étant assimilé à ce que le CICR appelle les formes barbares de lutte.

Il s'agit d'examiner la nécessité d'un développement du droit humanitaire.

Chapitre I. Les normes juridiques internationales applicables

Comme le rappelle Henri Meyrowitz, "Par lui-même, le procédé de la formulation d'une prohibition spécifique n'est pas en contradiction avec l'affirmation selon laquelle l'arme faisant l'objet de la règle spécifique nouvelle est déjà interdite par des normes antérieures, si tel est le cas. Répondant à un souci d'affermissement et de précision du droit, il relève de l'amélioration de la technique juridique et ne touche pas le statut de l'arme nouvelle en vertu des normes générales applicables".

Avant l'adoption de la Convention de 1980, les seules règles applicables à l'utilisation des mines terrestres sont les principes généraux du droit international humanitaire. Les paragraphes 75 à 82 de l'avis de la Cour Internationale de Justice du 8 juillet 1996 relatif à la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires contiennent un utile panorama de ce droit.

Section I. Les principes fondamentaux du droit international humanitaire

Dans la mesure où la réglementation relative aux mines régit non seulement leur usage, mais aussi leur possession, elle s'inscrit à la fois dans le cadre du désarmement et du droit humanitaire. Il est traditionnel de considérer que la question de la production et de la possession d'armes relève du droit du désarmement tandis que celle de leur usage relève du droit humanitaire. Mais cette distinction, qui ne tient guère compte des situations concrètes dans lesquelles ces deux questions sont indissociables, tend à s'effriter.

Dès lors, compte tenu de la gravité de leurs effets, la question de la licéité des mines antipersonnel mérite d'être examinée par rapport à l'ensemble des normes coutumières et conventionnelles du droit humanitaire qui s'oppose à la logique de la guerre totale.

Certaines limites sont codifiées depuis plus d'un siècle, de telle sorte quelles ont sans conteste valeur coutumière. A cet égard, la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 interdisant l'usage de certains projectiles et les Conventions de la Haye de 1899 et les Règles y annexées de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre font figure de précurseurs de la réglementation relative aux mines. "Les conventions de Genève énoncent des règles de droit international humanitaire et stipulent les règles essentielles du droit coutumier applicables dans les conflits armés internationaux. Ces conventions régissent la conduite de la guerre d'un point de vue humanitaire en protégeant certaines catégories de personnes". La protection des civils en temps de guerre est renforcée par la Convention IV de 1949 et par son Protocole additionnel Ide 1977.

Dans son Avis consultatif du 8 juillet 1996 sur la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, la Cour Internationale de Justice se réfère à certains "principes cardinaux contenus dans les textes formant le tissu du droit humanitaire" : le principe de distinction entre combattants et non combattants, l'interdiction de l'emploi d'armes frappant sans discrimination, l'interdiction d'infliger des maux superflus aux combattants et le principe selon lequel les Etats n'ont pas un choix illimité quant aux armes qu'ils emploient

§I. Le choix des moyens et méthodes de combat

Des limites sont imposées aux belligérants quant aux choix des moyens et méthodes de combat auxquels ils peuvent recourir, c'est-à-dire relativement aux armes et à leur usage par des instruments tels que la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868, la Convention IV de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et le Protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève de 1949.

Les moyens de combat

Pour répondre à une invention russe qui permet à une balle d'exploser au contact d'une substance molle, la Déclaration signée à St Pétersbourg en 1868 interdit cette balle. C'est la première fois qu'une déclaration ayant force de loi confirme une norme coutumière interdisant à une arme de devenir un instrument de guerre particulièrement inhumain. Plus tard, la Convention IV de La Haye de 1907, article 22 du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé, ne traite que des moyens en disposant que "les belligérants n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'ennemi".

En 1977, l'article 35 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, sans prohiber aucune arme spécifique, réaffirme :

"1. Dans tout conflit armé, le droit des Parties au conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas illimité.

2. Il est interdit d'employer des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus.

3. Il est interdit d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel".3. Il est interdit d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel".

La notion d'arme interdite évolue au gré de paramètres stratégiques, idéologiques ou économiques. C'est pourquoi le principe doit être précisé et progressivement étendu en fonction de l'évolution de la technologie militaire. Plusieurs textes sont édictés pour interdire ou limiter l'emploi de certaines armes. Il en est ainsi du Protocole de Genève de 1925 sur les gaz asphyxiants et les moyens bactériologiques, de la Convention de 1972 sur l'interdiction de la fabrication des armes bactériologiques ou de la Convention de 1993 sur les armes chimiques.

Le CICR estime que "l'emploi d'armes, de projectiles et de matières ainsi que de méthodes de combat de nature à causer des maux superflus ou de nature indiscriminée" constitue une violation grave du droit international humanitaire, tant coutumier que conventionnel, dont il est le gardien.

Les méthodes de combat

Le préambule de la Déclaration de Saint-Pétersbourg établit un principe de proportionnalité. En effet, "des limites techniques où les nécessités de la guerre doivent s'arrêter devant les exigences de l'humanité" sont fixées : "Considérant que les progrès de la civilisation doivent avoir pour effet d'atténuer autant que possible les calamités de la guerre ; que le seul but légitime que les Etats doivent se proposer, durant la guerre, est l'affaiblissement des forces militaires de l'ennemi ; qu'à cet effet, il suffit de mettre hors de combat le plus grand nombre d'hommes possible ; que ce but serait dépassé par l'emploi d'armes qui aggraveraient inutilement les souffrances des hommes mis hors de combat ou voudraient leur mort inévitable ; que l'emploi de pareilles armes serait, dès lors, contraire aux lois de l'humanité."

La Clause de Martens, énoncée pour la première fois dans la Convention II de La Haye de 1899 et reprise dans les termes du Préambule de la Convention IV de la Haye de 1907, permet de tenir compte de l'évolution des techniques militaires.

Elle affirme que lorsque les Parties au conflit ne sont pas contraintes de respecter des règles formelles imposées par le droit des conflits armés, elles doivent agir en respectant "les principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis, des principes d'humanité et des exigences de la conscience publique". La nécessité militaire reste toujours soumise à la Clause de Martens. Elle ne justifie aucune dérogation aux règles rédigées de manière impérative mais donne aux chefs militaires une certaine liberté d'appréciation dans des cas prévus. La Commission du Droit International exclut la possibilité d'invoquer l'état de nécessité pour justifier les infractions au droit de la guerre. Les militaires doivent respecter l'équilibre entre la nécessité militaire et les dommages subis par les civils. Les civils ne doivent subir aucune attaque de la part des militaires.

La définition de l'expression attaques recouvre les actes défensifs aussi bien que les actes offensifs qui peuvent affecter l'ensemble de la population. La pose de mines constitue-t-elle une attaque ? D'après l'article 51 § 4 alinéa b et l'article 57 du Protocole de 1977, on peut le penser. Ce texte ne précise pas quand se situe l'attaque : lorsque la mine est posée ? lorsqu'elle est armée ? lorsqu'une personne est mise en danger ou lorsque l'engin explose ? La Société internationale de droit pénal militaire et de droit de la guerre admet que, du point de vue juridique, l'emploi de mines constitue une attaque lorsqu'une personne est mise directement en danger par la pose d'une mine.

Une zone minée est-elle une zone d'opérations militaires ? Cette expression désigne le territoire où se trouvent les forces armées qui participent directement ou indirectement aux mouvements et actions en rapport avec les hostilités, accomplis par les forces armées, selon les travaux préparatoires de la Conférence diplomatique. Un champ de mines est une zone dangereuse sur laquelle il ne se déroule pas nécessairement une opération militaire. Un champ de mines peut même être factice, c'est-à-dire simuler un champ de mines.

L'interdiction de la perfidie est une règle fondamentale de la conduite du combat. Selon l'article 37 du protocole de 1977 - "Interdiction de la perfidie" (§ 1 2ème phrase), la menace indécelable est un des aspects de la perfidie. D'après les dispositions du paragraphe 2 - "Ruses de guerre" (2ème phrase), les mines dont l'action est déclenchée par la cible lors du contact avec l'engin, si elles ne sont pas signalées, sont des pièges qui ont un caractère perfide. Le caractère perfide qui interdit de blesser ou tuer en recourant à la perfidie, fait appliquer cette interdiction même si la partie au conflit n'est pas liée par la Convention.

§II.La notion de maux superflus
Le cadre juridique

Sont interdits les méthodes ou moyens de nature à causer des maux superflus, c'est à dire des pertes inutiles ou des souffrances excessives. Le paragraphe 2 de l'article 35 du Protocole I de 1977 énonce une interdiction de résultat plus qu'une interdiction de moyens. Il réaffirme le principe du Règlement de La Haye, article 23, lettre e) selon lequel il est interdit "d'employer des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des maux superflus".

Toutefois, ces normes coutumières ne fixent qu'un cadre général. Pour qu'elles soient convenablement appliquées à chaque type d'armes, la notion de maux superflus doit être précisée.

L'évaluation des maux

Toute souffrance est superflue et toute blessure est inutile. Comment les mettre en balance avec la nécessité militaire de mise hors de combat de l'adversaire ? Les débats au sein de la Commission III de la Conférence de 1977 montrent les imprécisions de cette notion. Une épidémiologie des effets des armes sur la santé pourrait être appliquée au droit international humanitaire pour mesurer si elles infligent des maux superflus. Dans un article paru dans la revue Medecine and Global Survival, le Dr Robin Coupland, chirurgien du CICR, propose de mesurer les maux infligés par les armes sur le plan de la santé à partir des paramètres suivants : la proportion de patients survivant malgré de très grandes blessures, la mortalité des victimes sur le terrain et à l'hôpital, la durée du séjour hospitalier, le nombre d'opérations nécessaires, les besoins de transfusion sanguine, la présence d'incapacités graves et permanentes chez les survivants et la notion d'aveuglement intentionnel. Robin Coupland définit un étalon de référence des effets des armes sur la santé qui pourrait être appliqué au droit international humanitaire.

L'expression souffrances inutiles ne peut être définie de manière objective, même à partir de paramètres médicaux. Elle inclut la souffrance morale et la souffrance physique. La douleur qui est un des éléments de la souffrance varie entre les personnes et, pour une même personne, varie selon les moments et les circonstances. Les blessures ou lésions causées par une arme particulière sont difficiles à comparer selon la partie du corps atteinte, selon l'individu blessé.

La liste des effets sur la santé proposée par le CICR pour conclure qu'un système d'armes inflige des maux superflus permet d'arriver à une définition médicale, laissée à la responsabilité de la profession médicale et non à une définition technique, juridique ou militaire. Les critères proposés sont : une mortalité sur le champ de bataille de plus de 25% du nombre de blessés, une mortalité en milieu hospitalier de plus de 7%, une proportion supérieure à 10% de blessures de degré 3 parmi les victimes qui parviennent en vie à l'hôpital, une hospitalisation de plus d'un mois en moyenne, plus de trois opérations dans un hôpital non spécialisé, plus de 20 % de transfusés parmi les survivants, une invalidité permanente inévitable.

§III. La distinction entre civils et combattants et la protection de la population

Ce principe de droit international coutumier se concrétise en   1874, à Bruxelles, par un projet de déclaration internationale concernant les lois et coutumes de la guerre qui ouvre la voie à la consécration positive de la distinction entre combattants et non-combattants.

Les effets indiscriminés sur la population civile

La résolution XXVIII adoptée à Vienne, en 1965, par la vingtième Conférence de la Croix-Rouge pose le principe qu'il est interdit de lancer des attaques contre les populations civiles en tant que telles et qu'il faut en tout temps faire la distinction entre les personnes qui prennent part aux hostilités et les membres de la population civile afin de les épargner. Ce principe fondamental du droit international est rappelé par la résolution adoptée par l'Institut de droit international, en 1969, à la session d'Edimbourg, relative à la distinction entre les objectifs militaires et non militaires en général et notamment les problèmes que pose l'existence des armes de destruction massive. La résolution 2444 de l'AGNU "Respect des droits de l'homme en cas de conflit armé", adoptée le 18 décembre 1969, reprend les propositions de la Conférence internationale de la Croix-Rouge.

D'après l'article 4 du Protocole de 1977, les mines ne doivent pas être utilisées dans les zones habitées où les combats ne sont pas engagés à moins qu'elles soient placées sur ou à proximité d'un objectif militaire sous le contrôle de la partie adverse. En dehors de cette situation, des mesures doivent être prises pour protéger la population.

L'article 48 du Protocole de 1977 impose la distinction entre les civils et les combattants ; les belligérants ne doivent diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires. Or, le caractère militaire d'un objectif est difficile à contrôler dans les zones de combat. En dehors des zones de combat, le caractère militaire des objectifs doit être établi et les limites des objectifs déterminés avec précision. Selon le paragraphe 2 de l'article 52, un objectif militaire doit apporter une contribution effective à l'action militaire. Une zone de terrain peut être un objectif militaire. Avec l'article 57, il y a obligation d'identification de l'objectif avant de déclencher l'assaut.

Selon le CICR, en 1995, "le principe de distinction et de protection de la population civile et des personnes civiles, afin de leur épargner autant que possible les effets de la guerre est à la base de toute réglementation des conflits armés". Le caractère indiscriminé d'une attaque dépend de la manière dont les armes sont utilisées. Les parties à un conflit doivent toujours faire la distinction entre civils et combattants. Les civils ne peuvent pas faire directement l’objet d’attaques ; en outre, les attaques sans discrimination et emploi d’armes ayant des effets indiscriminés sont interdits. Ce principe de base du droit des conflits armés constitue une règle de droit international coutumier et s’applique donc à tous les Etats, indépendamment de leurs obligations conventionnelles.

Les effets indiscriminés et disproportionnés des mines sont contraires aux normes coutumières fondamentales du droit international humanitaire dont le respect s'impose à tous les combattants. En effet, ces armes sont excessivement létales et leur extrême nocivité est contraire aux principes d'humanité. Les mines ignorent toute distinction entre combattants et non combattants. Elles sont souvent devenues des instruments de terreur visant les populations civiles que l'on veut terroriser et démoraliser dans le cadre de stratégies militaires en infraction directe au droit de la guerre.

L'examen de l'équilibre entre la nécessité militaire et les conséquences subies par les populations civiles doit se faire en tenant compte de la durée de vie des mines. En mars 1996, l'étude du CICR sur l'utilité militaire avec le concours d'officiers et d'instituts de recherche montre que l'utilité militaire immédiate est mince au regard des dommages et des conséquences socio-économiques à long terme.

La protection des biens et des moyens de subsistance

Le droit de Genève interdit de porter atteinte aux biens assurant la survie de la population. Il ne doit pas être porté atteinte aux moyens de subsistance des civils. L'article 49 du Protocole I de 1977, ne s'oppose pas à la politique de la terre brûlée du belligérant qui, dans des circonstances extrêmes, se replie sur son propre territoire national mais la Puissance occupante ne peut le faire sur un territoire contrôlé. L'article 52 de ce même protocole impose la distinction entre objectifs militaires et biens civils. L'article 54, paragraphe 1 "innove en établissant une règle qui a été acceptée par beaucoup de gouvernements comme droit coutumier et qui restreint l'emploi des mines". Le paragraphe 2, d'interprétation délicate, est peu restrictif quant à l'interdiction d'attaquer, de détruire, d'enlever ou de rendre inutilisables des biens indispensables à la survie de la population civile puisque cette interdiction ne porte que pendant l'action engagée et pas sur les effets secondaires de l'action. D'après cet article 54, il est interdit de miner une zone agricole si les civils risquent de se trouver privés d'eau et de nourriture.

La protection de l'environnement

Toute méthode ou tout moyen de guerre causent des dommages à l'environnement humain et à l'environnement naturel. Le milieu humain reste dégradé longtemps après la fin des conflits si des engins explosifs foisonnent sur les anciens terrains d'opérations.

Conscient des menaces qui pèsent sur l'environnement, même en temps de paix, la Conférence des Nations Unies pour l'environnement définit, en 1972, à Stockholm, le Programme des Nations Unies pour l'environnement et publie la Déclaration de Stockholm.

Le paragraphe 3 de l'article 35 du Protocole de 1977 interdit les dommages étendus, durables et graves à l'environnement. Il ne fait pas référence à l'écosystème et abandonne la proposition du Groupe Biotope, organisé à l'initiative de la Commission III d'interdire "d'utiliser des méthodes et des moyens de guerre qui portent atteinte à l'environnement de telle manière qu'ils perturbent la stabilité de l'écosystème".

Simultanément, la Conférence du désarmement de 1975, à Genève, saisie d'une résolution n°3264 (XXIX) de l'AGNU portant sur "l'interdiction d'agir sur l'environnement et le climat à des fins militaires et autres incompatibles avec le maintien de la sécurité internationale, le bien-être et la santé de l'être humain" travaille sur un projet de Convention portant interdiction "des techniques de modification de l'environnement ayant des effets étendus, durables ou graves". La Convention vise à prévenir l'utilisation des techniques de modification de l'environnement en tant qu'arme.

Les stratèges militaires soulignent que les mines sont placées près des frontières, pour protéger les installations militaires et les déplacements des militaires, mais aussi pour détruire les infrastructures socio-économiques.

Section II. Une réglementation internationale spécifique : la Convention de 1980 et son Protocole II

Il est difficile d'appliquer des textes généraux à des armes spécifiques. Aussi, au fur et à mesure de l'évolution des technologies, des textes viennent traiter spécifiquement chaque type d'armes. Il faut attendre 1980 pour que des Etats prennent conscience de la nature indiscriminée des effets des mines antipersonnel et pour qu'une convention internationale vienne compléter les principes généraux du droit humanitaire. D'après Maurice Aubert, la Convention de 1980 constitue un "instrument d'application" du Protocole I de 1977. Ces deux instruments doivent être compatibles.

§I. Les textes avant la modification de 1996

Cette Convention est adoptée le 10 octobre 1980 dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, convoquée conformément aux résolutions 32/152 et 33/70 de l'Assemblée Générale.

Entrée en vigueur le 2 décembre 1983, elle ne constitue en elle-même qu'un traité cadre. Tandis que son préambule fait écho à la Déclaration de St Pétersbourg, ses onze articles comportent essentiellement des dispositions relatives à son champ d'application, à sa ratification et à sa révision. En 1980, elle est assortie de trois protocoles : le Protocole I concerne les éclats non localisables ; le Protocole II réglemente l'usage des mines, pièges et autres dispositifs ; le Protocole III se rapporte à l'emploi des armes incendiaires. En 1995, le Protocole IV vient interdire l'emploi des armes lasers aveuglantes, avant qu'elles n'aient été utilisées.

L'article 7 de cette Convention prévoit que les Etats parties restent liés par elle et entre eux mais ne sont pas liés aux Etats qui ne sont pas partie, sauf si ceux-ci acceptent et appliquent la Convention en notifiant leur intention au dépositaire. Le processus de révision prévu dès l'origine se met en œuvre en 1993.

§II. Les apports et les faiblesses du Protocole II de 1980 avant la modification de 1996

Avant sa modification, le Protocole II sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, pièges et autres dispositifs ne s'applique qu'aux conflits internationaux. Le texte ne pose aucun principe d'interdiction générale des mines antipersonnel, mais seulement des restrictions à leur usage imposées par les articles 2 et 6.

Ce protocole clarifie quelques notions :

les mines (cf. Introduction)

les mine[s ] mise[s] en place à distance, "lancée[s] par une pièce d'artillerie, un lance-roquettes, un mortier ou un engin similaire ou larguée[s] d'un aéronef",

les pièges, faits "pour tuer ou blesser et qui fonctionne[nt] à l'improviste quand on déplace un objet en apparence inoffensif ou qu'on s'en approche, ou qu'on se livre à un acte apparemment sans danger",

les autres dispositifs, "mis en place à la main et conçus pour tuer, blesser ou endommager et qui sont déclenchés par commande à distance ou automatiquement après un certain temps",

les objectifs militaires, qui apportent "une contribution effective à l'action militaire" et offrent "un avantage militaire précis",

les biens de caractère civil qui ne sont pas des objectifs militaires

et l'opération d'enregistrement visant à "recueillir tous les renseignements disponibles qui permettent de localiser facilement les champs de mines, les mines et les pièges".

Le Protocole II de 1980 assimile les mines conçues pour exploser du fait de la présence d'une personne et celles conçues pour exploser du fait de la présence d'un véhicule. Quelques notions nouvelles n'ont pas été clarifiées : L'article 7 prévoit que les parties à un conflit enregistrent les champs de mines préplanifiés, mais ce terme n'est pas défini.

Dans ses articles 3,4 et 5, relatifs aux restrictions à l'emploi de ces armes, il confirme et précise plusieurs points du Protocole I additionnel à la Convention de 1949 :

l'interdiction de diriger ces armes contre la population civile,

leur utilisation sans discrimination, c'est-à-dire ailleurs que sur un objectif militaire ou en prenant le risque de causer des dommages sur les personnes et les biens civils,

les précautions à prendre pour protéger la population civile.

Les exceptions à l'interdiction d'employer ces armes mises en place manuellement dans les zones habitées ouvrent la porte à tous les abus. De même, l'interdiction de l'emploi des mines mises en place à distance souffre d'exceptions ; les précautions d'enregistrement, d'ajout de mécanisme de neutralisation, de préavis imposées posent des difficultés d'application. Ces dispositions manquent de vigueur. Plus grave, le texte n’interdit pas l’emploi des mines non détectables.

Les enregistrements de l’emplacement des champs de mines préplanifiés doivent être conservés et les parties à un conflit sont tenues également de conserver les enregistrements de l’emplacement de tous les autres champs de mines mis en place pendant les hostilités. Les renseignements concernant l'emplacement des engins doivent être fournis aux forces et missions des Nations Unies.

Ce texte ne prévoit aucun mécanisme de contrôle ou de surveillance des transferts et des exportations de mines. Aucune transparence n'est imposée.

La Convention de 1980 n'assigne aucune responsabilité en ce qui concerne l’enlèvement des mines. A la fin des hostilités, les parties doivent s’efforcer de conclure, tant entre elles qu’avec d’autres Etats ou organisations, un accord quant aux mesures nécessaires pour l’enlèvement des champs de mines. Or, le lien entre l’emploi des mines et la nécessité de leur enlèvement ultérieur repose sur le sentiment de responsabilité : seul un petit nombre de pays contribue au déminage de zones où ils n’ont pas pris part au conflit. Les belligérants peuvent être tentés de laisser les mines en se retirant d'une zone contrôlée pour continuer à nuire après la fin des hostilités.

Concernant la protection de l'environnement, la Convention de 1980 et son Protocole II non modifié et la Convention de 1949 et son Protocole de 1977 ne se contredisent pas mais n'accordent pas la même portée aux termes employés. En 1980, sont interdites les modifications de l'environnement en tant que moyens de causer des dommages à un autre Etat, alors qu'en 1977, le Protocole interdit tous les moyens de nature à causer des "dommages étendus, graves et durables" à l'environnement naturel. En 1980, le terme durable signifie plusieurs mois à une saison ; en 1977, il s'agit de décennies. En 1980, il suffit qu'une des trois conditions de la formule "étendus, durables ou graves" soit remplie pour que le procédé tombe sous l'interdiction, alors qu'en 1977, il faut les trois conditions simultanées pour que la méthode et/ou le moyen de guerre deviennent illégaux.

Dans le cadre de la Convention de 1980, aucun mécanisme n’est prévu pour la mise en œuvre et le contrôle de l’application de la Convention.

Cette Convention comporte dès le départ certaines faiblesses et insuffisances. Sa principale faiblesse c'est le peu d'adhésions puisque fin 1993, 44 Etats seulement adhèrent au Protocole II et que les pays de l'hémisphère sud sont absents. Son contenu paraît très insuffisant au regard de la gravité de l'emploi des mines antipersonnel. Les règles sont complexes ; il est impossible que l'emploi si facile des mines respecte le droit et la doctrine, même pour des armées professionnelles modernes, de l'aveu même de nombreux officiers supérieurs.

Dès juin 1993, dans un rapport sur la protection des victimes de guerre, le CICR affirme : "il est bien plus facile de surveiller l'application d'une règle qui prohibe totalement l'emploi d'une arme, que celle d'une règle qui en limite l'emploi".

Chapitre II. L'ampleur du phénomène

La multiplication des conflits généralise l'emploi et la prolifération des mines antipersonnel sur de très nombreuses régions du monde. Elles génèrent une véritable pandémie, à l'échelle de la planète et sont à l'origine d'une crise humanitaire aux répercussions énormes.

Section I. L'utilisation des mines

§I. L'utilisation réglementée

L'usage défensif classique des mines antipersonnel est le plus souvent lié au besoin stratégique de protéger des bases ou des installations sensibles, des objectifs spécifiques ou d'empêcher l'accès à une zone, à une localité. Il vise également à gêner l'ennemi en perturbant l'approvisionnement, en retardant son avance, en limitant les mouvements de son infanterie ou en détournant son itinéraire, en l'obligeant à venir en terrain choisi. Il empêche l'ennemi d'atteindre certaines positions stratégiques et protège les flancs découverts de toute incursion. La gravité des premiers accidents provoque souvent la panique des compagnons d'armes et réduit l'ardeur au combat. Le caractère arbitraire de l'accident contribue à freiner l'avancée des troupes. Les secours aux blessés, leur transport mobilisent des combattants et affaiblissent l'adversaire.

Les armées régulières déclarent respecter les règles en vigueur, reporter soigneusement les emplacements de mines sur des cartes et signaler les champs de mines à l'ennemi. Jean-Louis Dufour, dans un article paru dans Le Monde, affirme que "tout soldat digne de ce nom marque la zone dangereuse, […] établit un plan de pose qui servira, la paix venue, à l'indispensable déminage". Il demeure toutefois que, même lorsque l'utilisation des mines intervient dans des conditions conformes aux règles prévues dans la Convention de 1980 et que les victimes sont des combattants, il en résulte des maux superflus contraires au droit humanitaire, car l'ampleur des dommages infligés excède ce que justifie la mise hors de combat de l'adversaire.

§II. L'utilisation sauvage

Les armées régulières affirment que les mises en place sauvages de mines terrestres sont le fait des bandes armées et des troupes irrégulières. Souvent, elles fabriquent elles-mêmes leurs mines de façon artisanale ; ceci a l'avantage de faire peser sur les communautés civiles une menace moins lourde parce que les engins ont une durée de vie plus courte. Si une mine mise en place manuellement se vend de un à dix dollars US, une mine dispersable à distance avec les dispositifs de lancement et les accessoires se vend environ cent vingt dollars US. Mais les armées régulières des Etats-Unis, en Indochine et d'URSS, en Afghanistan, ont pratiqué la mise en place sauvage des mines en les utilisant intensivement et en les dispersant par voie aérienne.

Des techniques de minage autonome rapide permettent d'accélérer la pose des mines, de les distribuer aisément en grappes. Elles peuvent être mises en place à distance par une pièce d'artillerie, un missile, un lance-roquettes, un mortier ou larguées par avion ou hélicoptère. Souvent les systèmes de minage à distance utilisent l'électronique et l'intelligence artificielle. Cette mise en place à distance permet la répartition d'une quantité beaucoup plus importante de mines. Son principal inconvénient est de ne s'accompagner d'aucun relevé ou tracé précis des zones minées, ce qui rend le déminage encore plus difficile. Au Cambodge, au cours des conflits successifs, toutes les factions ont répandu des mines antipersonnel dans de vastes zones sans enregistrer les emplacements.

Les mines peuvent être utilisées de façon perverse, avec d'autres objectifs que le contrôle purement militaire de la situation. Les combattants peuvent volontairement vouloir provoquer des morts et des blessures pour créer la terreur, y compris dans la population civile. L'impact socio-économique, la famine, deviennent une stratégie pour déstabiliser le pouvoir en place. D'autre part, les mines antipersonnel sont conçues pour blesser la personne qui la déclenche afin d'obliger l'ennemi à consacrer une partie de ses ressources à soigner les blessés graves.

Section II. L'impact démesuré des mines

§I.Les pays affectés

Les mines antipersonnel ont été massivement utilisées au cours des divers conflits du vingtième siècle et se trouvent désormais disséminées à travers toute la planète. D'après le Département des Affaires Humanitaires des Nations Unies, l'Afghanistan, l'Angola, la Bosnie, le Cambodge, la Croatie, l'Erythrée, l'Iraq (Kurdistan), le Mozambique, la Somalie, le Soudan et le Vietnam sont les pays les plus pollués.

Les pays les plus lourdement affectées sont souvent des pays du Sud, les plus pauvres, ceux où le fardeau des mines pèse sur une situation économique difficile, où la guerre civile a détruit les infrastructures économiques et sanitaires, la vie sociale et les systèmes d'éducation. Ces pays se trouvent donc en situation de dépendance financière et technologique pour mettre en œuvre des programmes de déminage.

A elle seule, l'Afrique, continent le plus gravement touché, compte environ trente millions de mines, dispersées dans dix-huit pays. L'Angola compte presque une mine par habitant ; les dégâts considérables dans les populations civiles sont dus à l'usage massif des mines antipersonnel par les forces gouvernementales et par l'UNITA. Mais nombre de mines sont aussi recensées en Asie, en Europe, en Amérique latine et au Moyen-Orient. Quelques pays du Nord sont aussi pollués, ceux concernés par les conflits de l'ex-Yougoslavie et de l'ex-URSS. Pour couper les lignes d'approvisionnement et pour assurer le contrôle des territoires, les différentes factions ont disséminé deux à trois millions de mines antipersonnel dans les zones civiles de Croatie et de Bosnie. Moins massivement, les mines antipersonnel ont été utilisées dans les conflits du Haut-Karabakh, de l'Abkhazie et de la Tchétchénie.

§II.Les effets dévastateurs sur la population

Le recensement des victimes est difficile car un certain nombre d'entre elles décèdent sans que les organismes de soins en aient connaissance. Certaines informations peuvent aussi être dissimulées pour des motifs politiques ou militaires.

Alors que les pays concernés dépensent des millions de dollars tous les ans pour venir en aide aux victimes des mines antipersonnel, celles-ci font environ soixante-dix nouvelles victimes tous les jours, soit une toutes les vingt minutes. Le CICR constate qu'elles "sont responsables d'un nombre disproportionné d'amputations parmi les blessés de guerre", la proportion d'amputés étant particulièrement élevée. Ainsi, d'après ses estimations, on compte un amputé pour deux cent trente-six habitants au Cambodge, un sur quatre cent soixante-dix en Angola, un sur six cent cinquante en Somalie, un sur mille cent en Ouganda, un sur mille deux cent cinquante au Vietnam et un sur mille huit cent soixante-deux au Mozambique.

En Afghanistan, un des pays les plus pollués du monde, un homme adulte sur dix a été victime des mines et trente mille personnes ont subi une amputation. Par comparaison, aux Etats-Unis, on compte un amputé pour vingt-deux mille habitants.

Les mines touchent sans discrimination les militaires et les populations civiles, y compris les femmes et les enfants. Ainsi, selon une estimation de l'UNICEF, 30% des personnes qu'elles tuent ou blessent sont des enfants de moins de quinze ans. De même, à l'occasion du débat général du Comité des Droits de l'enfant de l'ONU sur les droits de l'enfant handicapé, en octobre 1997, Mme Nafsia Mboi, Rapporteur du Comité, affirme que "les conflits armés et la violence politique sont actuellement les causes principales des blessures et des handicaps physiques dont souffrent les enfants". Les enfants constituent un quart des personnes soignées dans les unités de la Croix-Rouge pour des blessures causées par les mines terrestres, dans les conflits afghans et cambodgiens.

Parmi les populations civiles lourdement frappées, les victimes sont souvent des bergers nomades, des familles de villageois vivant en autarcie du produit de leurs terres, des pauvres. A titre d'exemple, en 1994 et 1995, en Géorgie, 80 % des victimes sont des civils. Au Cambodge, les hommes qui participent à des activités militaires représentent seulement 27 % des blessés par mines. Parmi les blessés soignés par les hôpitaux du CICR, 39 % des patients au moins sont des non-combattants.

En cas de conflits armés, il y a recrudescence de victimes pendant mais aussi après les combats. Au cours de la guerre civile afghane, au plus fort des combats, autour de la ville de Hérat, l'emploi massif des mines pendant les affrontements entre les forces gouvernementales et les taliban, fait quatre mille tués ou blessés par mines pour la seule année 1995. Mais les accidents se multiplient aussi au moment où les réfugiés rentrent, parce que beaucoup vont pénétrer dans des zones polluées mal connues, non ou mal repérées. Toujours en Afghanistan, mais en 1992, après l'intervention soviétique, le nombre de blessés par mine dans les hôpitaux du CICR double, passant de cinquante à cent par mois au moment du retour des réfugiés. Dans les conflits entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, à partir d'avril 1995, lorsque le cessez-le-feu du Haut-Karabakh est mieux respecté, le nombre de blessés de guerre diminue mais le retour massif des populations provoque l'augmentation du nombre de victimes de mines. Les rapatriés restent encore plus exposés que les autres même plusieurs années après leur retour.

Les systèmes de santé des pays concernés ont souvent des difficultés à faire face à l'ampleur des traumatismes liés aux mines. Les charges directes liées aux victimes des mines antipersonnel sont très lourdes, que ce soit en matière de soins, de rééducation et d'appareillage, mais aussi de réinsertion sociale et professionnelle. Certains pays manquent cruellement de matériel médical pour les victimes des mines.

Les premiers secours consistent d'abord à arrêter l'hémorragie. Le besoin en transfusion sanguine est deux fois plus important pour les blessés par mines que pour les autres blessés de guerre. La chirurgie est souvent très lourde et sous anesthésie ; la physiothérapie spécifique permet au blessé de retrouver la mobilité du membre atteint. Le blessé doit participer et apprendre à appliquer les bandages des moignons pour qu'ils s'adaptent à l'emboîture d'une prothèse.

Les mines causent des dégâts humains considérables. La charge explosive est plus calculée pour blesser que pour tuer. L'explosion et ses suites (hémorragies, infections) provoquent des blessures très graves nécessitant fréquemment l'amputation d'un ou plusieurs membres. La base de données chirurgicales du CICR, en mars 1996, donne des chiffres à partir d'une population de deux mille six cent quarante-huit blessés par mines sur sept mille six cent quinze patients blessés de guerre et admis après moins de vingt-quatre heures : leur durée de séjour hospitalier est de 21,5 jours à 32,3 jours en cas d'amputation ; le nombre d'opérations nécessaires est de 2,8 à 4,0 en cas d'amputation ; 33,3 % ont besoin de transfusions sanguines (74,9 % en cas d'amputations) ; huit cent cinquante-neuf membres inférieurs sont amputés. Les survivants des mines conservent la plupart du temps des invalidités permanentes et graves.

Les mines ont des conséquences lourdes à la fois sur le plan physique et psychique. Les victimes subissent souvent des pertes de sang abondantes, une perte partielle ou totale de la vue et de l'ouïe, des amputations qui engendrent un grave stress post traumatique. Les diverses pathologies provoquées par les mines nécessitent souvent des soins lourds et coûteux, impliquant une longue hospitalisation. Le CICR estime qu'un amputé victime de mines qui reste dans un hôpital du CICR une trentaine de jours, coûte trois à quatre mille dollars américains.

Selon Leandro Despouy, "les mines terrestres sont l'une des principales causes d'invalidité, tant dans les conflits armés internationaux, comme la guerre Iran-Iraq, que dans les conflits armés internes - en El Salvador par exemple - ainsi que dans les conflits mixtes, comme celui d'Afghanistan avant le retrait des troupes soviétiques". Il estime qu'"il est regrettable que, pendant les conflits armés, certains pays en développement réservent la totalité des services de réadaptation existants aux adultes, en particulier aux combattants et aux militaires, ce qui fait que les femmes et les enfants sont généralement privés de tout type d'aide".

La prothèse doit être adaptée aux moyens des victimes et des techniciens locaux qui doivent pouvoir réparer ou renouveler les matériels après le départ des organisations humanitaires. Si la personne amputée est jeune, sa croissance peut impliquer des interventions chirurgicales répétées et sa prothèse demande à être renouvelée au minimum tous les deux ans.

Au moment de l'accident il faut d'abord évacuer rapidement la victime, mais toute personne qui se porte à son secours se trouve exposée au danger d'autres mines. Souvent, la personne meurt sur place ou pendant son transport car il faut parfois plusieurs jours pour atteindre un centre de soins. Les civils ont plus de mal que les combattants à trouver un moyen de transport pour rejoindre un poste de secours ou un hôpital. Certaines victimes jugent dangereux de se rendre dans un hôpital tenu par leurs adversaires ou n'ont pas les moyens de payer les soins. Si elles sont isolées, si la région est trop dangereuse, si les autorités ne délivrent pas les autorisations aux organisations, elles ne sont pas prises en charge et resteront sans soins.

Les blessures perforantes très douloureuses atteignent les pieds, les jambes, les parties génitales, l'abdomen, la poitrine et les yeux. S'il n'y a pas évacuation immédiate, les hémorragies sont fatales. Les éclats de plastique invisibles sur les radiographies provoquent des infections et gangrènes.

Le choc psychologique, la destruction de l'image de soi sont difficiles à surmonter. L'aide psychologique peut jouer un rôle fondamental pour permettre aux victimes de bâtir leur avenir. Les victimes se retrouvent souvent marginalisées car les pays minés sont la plupart du temps dans un contexte peu favorable à la réinsertion.

Du point de vue des dommages qu'elles infligent aux populations, les mines terrestres sont comparables aux armes nucléaires, chimiques ou bactériologiques.

§ III. L'impact sur la société

La présence des mines antipersonnel entrave la reconstruction du pays après la fin du conflit, fragilise l’économie des zones rurales, infeste des territoires en rendant inexploitables des terres fertiles ; les riches zones agricoles sont incultivables ou émiettées en petites parcelles, les zones pastorales réduites, les systèmes d'irrigation perturbés et les pays menacés par la famine. Pour évaluer l'impact des mines, il ne suffit pas de recenser les amputés, il faut aussi prendre en considération les terres en friche ou les villages désertés.

Les mines appauvrissent des communautés entières, compromettent la reconstruction et le développement. Elles restreignent les possibilités de communication et d'échanges, perturbent la circulation des personnes et des biens en portant atteinte aux voies de communication et aux réseaux de transport. Elles gênent l'aide au développement, rendent dangereux le ravitaillement et peuvent générer inflation et pénuries alimentaires. Leur usage est donc souvent lié à l'utilisation de la famine comme arme de guerre. Leur impact environnemental peut être catastrophique. Elles créent des conditions propices au prolongement des crises économiques et sociales et de l'instabilité politique.

Les ravages se poursuivent souvent des décennies après la fin du conflit au cours duquel ces mines sont déployées. Ces armes pernicieuses ne tiennent pas compte des cessez-le-feu et des accords de paix et frappent sans discrimination pendant des générations. Toutefois, dans les pays qui ont mis le prix, les nouvelles générations de mines sont censées pouvoir nuire moins longtemps.

Elles provoquent des frais médicaux que les pays qu'elles polluent ne peuvent assumer. Les pays en développement doivent supporter les frais supplémentaires qu'entraîne l'aide aux victimes. Les victimes des mines font peser de lourdes charges sur les systèmes de santé.

Les conséquences de la prolifération des mines sont d'autant plus lourdes pour les populations civiles que les victimes par ricochet sont innombrables. En effet, il n'est pas rare qu'elles plongent des communautés entières dans le dénuement. Dans des régions où le travail est rare, l'insertion sociale des personnes handicapées est difficile, ce qui les empêche de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. La survie des enfants est menacée non seulement lorsqu'ils sont directement victimes des mines, mais aussi lorsque leurs parents se trouvent dans l'impossibilité d'assurer leur subsistance.

§IV.Les effets déstabilisateurs sur la communauté internationale

La présence de mines limite considérablement l'action des forces de maintien de la paix ou le travail d'organisations humanitaires en le rendant plus dangereux. Les soldats des Nations Unies sont très touchés puisque l'ONU estime les victimes à deux cent trois blessés et soixante tués dans des opérations de maintien de la paix, dont le déminage constitue souvent une composante.

Les mines créent un climat de défiance parmi les civils. Après un conflit, il est fréquent qu'elles perturbent le retour des réfugiés dans leur région d'origine ou rendent la vie impossible et chassent des dizaines de milliers de personnes qu'elles transforment en réfugiés ailleurs. Ainsi, en Ex-Yougoslavie, soit ils ont eux-mêmes miné leurs habitations et leurs champs avant de fuir pour éviter que d'autres s'en emparent, soit au contraire leurs adversaires ont fait de même pour leur signifier qu'ils n'étaient pas les bienvenus. En empêchant les personnes déplacées de rentrer dans leur pays, les mines créent de graves difficultés pour le pays d'accueil mais aussi pour la communauté internationale et les organismes d'aide humanitaire qui doivent en supporter la charge. Les mines contribuent à accroître la crise mondiale des réfugiés.

L'ampleur des drames vécus et prévisibles provoque une prise de conscience générale au début des années 90. L'action conjuguée des organisations non gouvernementales, des Etats, des organisations internationales, des médias, de l'opinion publique crée un sentiment d'horreur suscitant des initiatives nationales, régionales et mondiales.

La campagne de stigmatisation des mines s'appuie sur des méthodes de mobilisation de l'opinion publique et de dénonciation des faits comparables à celles couramment utilisées par les organisations de défense des droits de l'Homme.

Section III. Les organisations et la campagne internationale contre les mines antipersonnel

§I. Les objectifs de la campagne internationale

"Il s'agit non seulement de prohiber les mines antipersonnel, mais encore de stigmatiser leur emploi, de manière à ce que les combattants, quel que soit leur degré de connaissance de la loi, renoncent à les utiliser parce qu'elles seraient considérées comme des armes ignobles par les sociétés dans lesquelles ils évoluent". La campagne s'est également fixé comme objectif d'éliminer les mines antipersonnel par la sensibilisation de l'opinion publique et la pression sur les gouvernants au niveau national, régional et international, pour que des normes efficaces soient adoptées à ces trois niveaux, mais aussi pour permettre aux pays touchés de développer leurs propres moyens de lutte.

Pour Handicap International, réparer ne suffit pas puisque le nombre de victimes de mines augmente bien plus rapidement que le nombre de personnes pouvant bénéficier d'un appareillage. Avec la campagne internationale, l'organisation veut interdire totalement et définitivement les mines antipersonnel, considérant qu'il s'agit de la seule solution réaliste aux problèmes posés par la prolifération et l'utilisation, sans discrimination, de ces armes des lâches.

§ II. Les acteurs de la campagne internationale
Les Organisations Non Gouvernementales

En 1992, six associations décident de faire front ensemble contre les mines : Handicap International (France et Belgique), Medico International, Mines Advisory Group (Grande-Bretagne) ainsi que les organisations américaines Human Rights Watch/Arms Project et Vietnam Veterans of America Foundation. Ainsi est créée la Campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnel également dénommée International Campaign to Ban Landmines (ICBL). Par la suite, le Comité de Pilotage de l'ICBL est rejoint par l'organisation suédoise Raäda Barnen/Save the Children ainsi que par les campagnes nationales afghane, cambodgienne, kenyane et sud-africaine contre les mines. L'action au niveau des pays lourdement minés prend une importance croissante, car la sensibilisation aux dangers des mines est indissociable de la campagne pour leur interdiction.

En 1994, Handicap International, Médecins Sans Frontières, L'Unicef, Greenpeace et bientôt le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement constituent la Plate-forme française pour l'interdiction des Mines. Le thème Non aux mines antipersonnel est repris sur des affiches, sur les radios et chaînes de télévision françaises à l'initiative de Handicap international, qui lance une opération lettre ouverte au Président de la République. Voici quelques exemples d'autres actions menées en France : Greenpeace édite un bulletin spécial, Agir ici sensibilise les maires de France pour qu'ils s'assurent que les fabricants de feux d'artifice ne produisent pas de mines et engage une action en justice contre des producteurs présumés. Le Comité français pour l'Unicef organise une exposition au mémorial de Caen sur les enfants victimes de la guerre.

En 1994, les ONG belges lancent un appel fédérateur. Au cours d'une Conférence de presse intitulée "A quand une interdiction totale de la fabrication et de l'emploi des mines antipersonnel ?", l'initiative de quatorze organisations belges fait connaître la proposition de loi introduite au Sénat belge votée à l'unanimité le 19 janvier 1995.

En 1995, Handicap International participe à la rédaction d'une proposition de loi déposée au Parlement français le 27 mars par Mme Taubira-Delannon et présentée à la presse en avril avec le soutien de la Croix-Rouge française demandant l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, de l'utilisation, et de la vente des mines antipersonnel, ainsi que la destruction des stocks existants. Les groupes parlementaires socialistes et communistes déposent une proposition de loi demandant l'interdiction totale des mines antipersonnel. Malgré une nouvelle campagne de signatures en septembre, une journée de mobilisation "une victime, une chaussure pour dire non", à la veille de l'ouverture à Vienne de la Conférence de révision de la Convention de 1980, un nouveau colloque au Sénat Mines antipersonnel : l'interdiction totale n'est plus une utopie, la France ne se prononce toujours pas en faveur d'une interdiction totale.

La position du CICR évolue : au départ, il réclame une réglementation plus stricte, afin que les mines soient utilisées dans le respect du droit humanitaire, puis il se rapproche des partisans d'une interdiction totale en dénonçant le caractère indiscriminé des mines antipersonnel. Conformément à son rôle traditionnel, le CICR veut sensibiliser à la fois le grand public, les autorités et les militaires. C'est pourquoi il étudie les mines à la fois sous l'angle du droit humanitaire et de la stratégie militaire. En 1994, le CICR convoque une réunion d’experts militaires pour évaluer l'utilité militaire des mines antipersonnel et débattre des mécanismes d'autodestruction et de détectabilité. Le Président du CICR se prononce en faveur d'une interdiction totale des mines antipersonnel lors d'une réunion internationale sur le déminage en juillet 1995.

Selon Cornelio Sommaruga, président du CICR, "en droit international humanitaire, l'expérience a montré que des normes claires et sans ambiguïté s'imposent avec davantage de force et sont plus faciles à promouvoir et à mettre en œuvre que des régimes complexes et nuancés". Selon le Docteur Giannou, chirurgien canadien membre de la Division des opérations de santé du CICR, "C'est l'indignation du personnel médical, pourtant déjà habitué aux horreurs de la guerre, qui a poussé l'organisation à s'élever publiquement contre les mines antipersonnel".

La campagne contre les mines rassemble près d'un millier d'organisations à travers le monde : défenseurs des droits de l'Homme, associations humanitaires, mouvements pacifistes, Eglises. Le mouvement touche aujourd'hui aussi bien des milliers de citoyens de tous pays, des centaines d'associations, des responsables politiques, des diplomates, des militaires. Les pétitions se multiplient, les conférences internationales se suivent dans de nombreuses régions du monde.

Le 27 septembre 1997, le conseil d'administration de l'Association des Paralysés de France manifeste son appui à la campagne en adoptant la délibération suivante : "L'APF s'élève avec la plus grande vigueur contre l'utilisation des mines antipersonnel qui tuent et mutilent des enfants et des adultes à travers le monde. De par sa vocation de défense des personnes atteintes de déficiences motrices et, au-delà même de toute autre considération, l'APF adhère à toutes les actions qui tendent à en interdire l'usage. Elle exprime sa solidarité et son soutien aux opérations menées en ce sens par toute autre association dans le monde et, en particulier, Handicap International".

Avec l'appui de l'écrivain Reine-Marguerite Bayle, la Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente contribue à sensibiliser des enfants français au problème des mines. A cette occasion, ceux-ci démontrent leur capacité à se mobiliser.

En novembre 1997, Handicap International lance une campagne télévisuelle avec dix cinéastes, sous la direction artistique de Bertrand Tavernier sur le thème "Lumières sur un massacre". Il s'agit de dix films très dérangeants pour frapper l'opinion publique et pousser les Etats à s'engager vers l'interdiction totale.

Les acteurs de la campagne poussent chaque Etat à prendre ses responsabilités humanitaires en interdisant la production, le stockage, le transfert et l'emploi des mines antipersonnel pour sa propre armée. Pour faire pression sur les pays pollués le CICR va jusqu'à annoncer que l'assistance aux opérations de déminage sera davantage soutenue dans les pays qui renoncent unilatéralement à employer les mines antipersonnel. Il encourage les initiatives nationales en citant en exemple certaines législations nationales prohibant les mines antipersonnel.

Le rôle des organisations internationales dans la campagne

L'Organisation des Nations Unies prend les décisions voulues par les Etats qui la composent. Depuis le début de la campagne, plusieurs résolutions ont été votées par l'Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) concernant le désarmement, l'assistance au déminage, la sauvegarde de la population civile et surtout des enfants ou cherchant à restreindre de plus en plus l'usage des mines.

En 1990, l'AGNU proclame la décennie commençant en 1990 comme troisième décennie du désarmement. En 1991, elle déclare que tout transfert d’armes ne peut être effectué que si l’Etat destinataire le signale au Registre des armes classiques des Nations Unies. En 1993, elle évoque le problème des mines dans de nombreuses résolutions se rapportant à l'assistance au déminage et au fonds d'affectation volontaire, appelle à un moratoire international sur l'exportation des mines antipersonnel, se soucie de la protection des enfants dans les conflits armés. A la 49e session, l'AGNU demande la convocation d'une réunion internationale sur le déminage et le renforcement du rôle du Département des Affaires Humanitaires (DAH) pour la coordination des activités de lutte contre les mines, dont celles de recherche de nouvelles technologies pour la détection et la destruction. A la session suivante, est adoptée la résolution A50/82 relative à l'assistance au déminage et A50/70(O) relative au moratoire sur l'exportation des mines terrestres antipersonnel. Sur proposition des Etats-Unis au comité politique et sécurité, l'AGNU, le 10 décembre 1996, adopte la résolution 51/45(S) relative à un accord international interdisant les mines terrestres à conclure dès que possible. Parallèlement, sont adoptées les résolutions 51/49 relative à la Convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques et 51/149 relative à l'assistance au déminage.

De son côté, en 1994, le Secrétaire Général de l'ONU appelle à une interdiction totale de production, d'utilisation et d'exportation des mines antipersonnel : "Il ne suffit pas de doter les mines terrestres de systèmes de détection ou d'autodestruction. Les mines terrestres sont des armes inhumaines. Il faut donc les supprimer de manière générale et absolue". En juillet 1995, à Genève, lors de son discours à la Conférence internationale sur le déminage, il demande solennellement l'interdiction de l'usage et de la fabrication et la destruction des stocks. Selon Kofi Anan, "les mines terrestres sont un fléau dont l'homme est responsable, un fléau qui devrait être évité. Si chaque jour nous essayons de développer les opérations de déminage et de pallier les conséquences des mines antipersonnel, c'est à l'interdiction totale de ces mines que nous devons parvenir".

Sous la pression de Handicap International et de la Fédération Internationale Terre des Hommes, la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, en mars 1993, vote une résolution sur la protection des enfants dans les conflits armés, notamment par rapport aux effets des mines antipersonnel en temps de paix. C'est la première reconnaissance de l'importance des effets indiscriminés des mines antipersonnel sur la population civile et de la nécessité de financer le déminage. La sous-commission des droits de l'homme s'est également prononcée dans ses résolutions 1995/24 et 1996/15 dans lesquelles elle dénonce les effets des mines.

Devant la menace que constituent les mines pour les programmes de rapatriement et de réintégration de milliers de personnes au Mozambique, en Somalie, au Cambodge et en Afghanistan, le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) demande un embargo total sur les mines terrestres en mai 1994 et se déclare convaincu, qu'en l'absence d'embargo, il est nécessaire d'amender la Convention.

D'autres organisations internationales font des déclarations en faveur d'une interdiction totale : en 1995, l'Union Interparlementaire, le Programme Alimentaire Mondial, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ; en 1996, l'UNESCO et Habitat II.

L'UNICEF s'est fortement mobilisé. Son action contre les mines se situe dans le cadre plus large de "l'Ordre du jour contre la guerre". Cette action est relayée par ses comités nationaux. Le rapport de Mme Machel relatif à l'impact de la guerre sur les enfants dénonce les effets désastreux des mines.

Les divers groupes de pressions

La doctrine s'oppose au fléau des mines antipersonnel notamment dans la Déclaration de San Remo adoptée par l'Institut international de droit humanitaire, le 7 avril 1990. Celle-ci énonce une série de règles relatives à la conduite des conflits armés non internationaux. De nombreuses autorités religieuses se sont impliquées : le Pape, Desmond Tutu, qui joue un rôle majeur dans la campagne sud-africaine, le Conseil Mondial des Eglises, le Vénérable Maha Ghosanananda, le Dalaï-Lama.

En avril 1994, l’utilité militaire des mines est contestée par quinze officiers américains de haut rang qui adressent une lettre ouverte au Président des Etats-Unis. Paru en mars 1996, le rapport intitulé "Les mines antipersonnel - Des armes indispensables ?" conclut que la présence des mines est inutile et même souvent un obstacle, voire un danger pour les forces amies. L'efficacité militaire des mines est désormais mise en doute par une cinquantaine d'officiers supérieurs de dix-neuf pays. L'Union interparlementaire, dans sa résolution du 16 septembre 1997, suggère d'imposer le remplacement des mines antipersonnel par des fusées éclairantes piégées, des moyens de surveillance à distance, des services de renseignements efficaces et des ouvrages de protection.

D'autres initiatives nationales et régionales, des engagements de personnalités telles que la Princesse de Galles contribuent à renforcer le mouvement pour l'interdiction. Le professeur Bettati estime que la Convention d'interdiction des armes chimiques peut servir de modèle et que la mise en œuvre du principe pollueur-payeur est envisageable. Les victimes des mines sont particulièrement mobilisées, ce qui favorise la solidarité internationale. Les témoignages ont un rôle important pour que les enjeux humains ne soient pas négligés. L'objectif est de poursuivre parallèlement l'action visant à obtenir l'interdiction et l'élimination des mines antipersonnel aux échelons nationaux, régionaux et mondial.

Section IV. Les initiatives unilatérales, régionales et internationales des Etats

Sans attendre une solution mondiale, des Etats et des organisations régionales prennent des décisions allant de la non exportation à l'interdiction totale et qui concourent à une solution universelle. Certains Etats prennent des mesures visant à éradiquer les mines antipersonnel en publiant leurs intentions dans des déclarations unilatérales ou en votant des lois nationales ou sont parties à des accords régionaux.

§ I. Les actes unilatéraux des Etats

Un certain nombre d'Etats ont d'ores et déjà pris des mesures unilatérales en ce qui concerne la production des mines antipersonnel, l'utilisation, l'exportation ou la destruction des stocks.

La valeur juridique des déclarations unilatérales

Ces déclarations sont des actes unilatéraux créateurs des obligations juridiques. Les Etats auteurs de ces déclarations sont tenus de se conformer à leurs engagements même en dehors du cadre des négociations internationales. D'après J.-M. Favre, parce qu'elles créent un droit au profit d'un tiers, les conséquences de ces déclarations sont aussi importantes que celles dues à un engagement par un traité. Les Etats qui retireraient leurs déclarations unilatérales devraient en assumer les conséquences.

Les mesures unilatérales prises sans attendre la conclusion d'une convention internationale d'interdiction des mines, ayant force contraignante, ont pour effet de réduire le nombre total de nouveaux déploiements de mines antipersonnel qui provoqueraient de nouvelles victimes et augmenteraient le coût des activités de déminage. Ces engagements permettent d'accélérer l'entrée en vigueur de l'interdiction totale en allant à la fois plus vite et plus loin qu'un engagement international. Les Etats peuvent décider de procéder sans attendre à la destruction de leurs stocks. Ils peuvent renforcer les mesures de contrôles des entreprises nationales, même implantées à l'étranger.

Les déclarations d'intentions ne suffisent pas, il faut connaître la situation de référence et les progrès réalisés dans une transparence totale. Il peut y avoir un gros écart entre les intentions et les actes. La déclaration doit définir un calendrier des mesures légales et techniques prévues, l'identification de tous les paramètres liés à la fabrication, à l'achat, à la vente, au stockage des mines.

Les divers engagements unilatéraux

Les acteurs de la campagne internationale poussent ceux qui ont fait un moratoire à voter une loi nationale.

C'est le 26 septembre 1995, lors de la première session de la Conférence de révision du Protocole II, que la France, annonce sa décision de renoncer à la fabrication de tout type de mines et adresse ce moratoire à tous les industriels concernés par la délégation générale pour l'armement. Les parlementaires déposent des propositions de lois à plusieurs reprises. La dissolution de l'Assemblée Nationale repousse le débat prévu. La proposition du groupe socialiste prévoit alors l'interdiction totale de la mise au point, de la fabrication, de l'acquisition, de la vente et de l'utilisation des mines antipersonnel et n'adhère pas à la définition restrictive du Protocole II modifié. Voici le communiqué publié par le Conseil des Ministres français le 2 octobre 1996 : "Sur la base d'une communication du Ministre des affaires étrangères, le Conseil des ministres a adopté les orientations suivantes concernant la contribution de la France à la lutte contre les mines antipersonnel dans le monde. La France confirme sa décision de renoncer à produire et à exporter des mines antipersonnel. Le gouvernement présentera un projet de loi pour donner force législative à ces engagements. Il se propose, dans le cadre de la future loi, de faire rapport au Parlement sur les progrès de l'effort international de lutte contre les mines antipersonnel et la contribution qu'y apporte notre pays. La France entend parvenir à un accord international contraignant et juridiquement vérifiable sur l'interdiction totale et générale des mines antipersonnel. Dans cette perspective, elle renonce à l'emploi des mines antipersonnel sauf en cas de nécessité absolue imposée par la protection de ses forces. Dans ce dernier cas, toute dérogation ne pourra être autorisée que par une décision des autorités gouvernementales. L'emploi se ferait dans le strict respect des conditions de sécurité et en toute conformité avec les conventions internationales en vigueur. La France poursuivra la réduction par destruction, entreprise en septembre 1996, de son stock de mines antipersonnel".

Mais, le 24 juin 1997, Mme Bourgois, ambassadeur permanent à la Conférence du désarmement annonce que "les autorités françaises ont prévu de renoncer à cette unique exception le jour même de l'entrée en vigueur d'un traité efficace, et au plus tard à la fin de l'année 1999." En février 1997, le caractère ambigu des prises de positions françaises est dénoncé par l'Observatoire des transferts d'armements dans un rapport qui met en lumière les failles de l'interdiction de production ou d'utilisation.

Le 2 mars 1995, la Belgique est le premier pays au monde à renoncer unilatéralement à la fabrication, l'utilisation, l'exportation et le transfert des mines antipersonnel. Cette initiative qui rend crédible la possibilité d'une interdiction totale est complétée par une loi interdisant le stockage des mines, le 2 mai 1996.

Le Canada n'exporte plus de mines depuis 1987, n'en produit plus depuis 1992 et n'en a pas utilisées de manière opérationnelle depuis la guerre de Corée. En janvier 1996, le Canada vote un moratoire général sur la production, l'exportation et l'utilisation opérationnelle des mines antipersonnel. En octobre, au moment de la Conférence d'Ottawa organisée à son initiative, il annonce l'élimination de deux tiers de son inventaire de mines antipersonnel. Soucieux de respecter ses engagements, il a, aujourd'hui, entièrement détruit ses stocks.

En Grande Bretagne, l'arrivée au pouvoir des travaillistes s'accompagne d'un revirement de la position du gouvernement, exprimée dans un communiqué du 27 mai 1997.

La position des Etats-Unis est importante au regard du lobby international. En 1992, l'amendement proposé par le sénateur Leahy et adopté par le Sénat vise à créer un mouvement d'envergure internationale. Cette action bien que contrée par le Pentagone et le lobby des producteurs de mines terrestres est intéressante. Mais la politique des Etats-Unis est fluctuante puisqu'on peut déceler un double langage chez les autorités américaines qui refusent de trancher clairement entre intérêts stratégiques et considérations humanitaires. Dès 1992, elles mettent en place un moratoire sur l'exportation des mines. Le Pentagone et le Département d'Etat s'opposent quant à l'utilité militaire des mines. Le Président Clinton propose, le 21 janvier 1997, que la négociation d'un nouveau traité se déroule dans le cadre de la Conférence sur le désarmement. C'est à ce moment là qu'un coordinateur spécial sur la question des mines antipersonnel est nommé. Les Etats-Unis sont initiateurs du projet de résolution de l'AGNU visant à bannir l'usage des mines mais, malgré leur présence à Oslo, ils ne signeront pas le nouveau traité. Leur position tient à la présence de leurs forces armées sur de nombreux fronts et en particulier sur la frontière entre les deux Corée.

Les Etats industrialisés peuvent renoncer aux mines parce qu'ils disposent d'arsenaux diversifiés et que les enjeux commerciaux sont faibles. Selon Human Rights Watch, le montant annuel du commerce mondial des mines représenterait moins de 0,5% de la valeur de l'ensemble des transferts d'armes.

Il en est autrement des autres pays, surtout lorsque des bandes armées, des troupes irrégulières y circulent. Il leur faut des garanties internationales. Selon Handicap International, ces pays sont d'ailleurs souvent exportateurs comme Singapour, le Vietnam, la Bosnie-Herzégovine (République Serbe), la Serbie, la Bulgarie, l'Iran, l'Irak, l'Egypte et le Zimbabwe.

Si, en septembre 1996, la Chine renouvelle son opposition à l'interdiction des mines antipersonnel, c'est en arguant de son droit souverain à choisir son système de défense. La Chine est aussi un pays exportateur.

§ II. Des conférences et des déclarations communes au niveau régional.

La Campagne Internationale et le CICR soutiennent les initiatives lancées par les organisations régionales pour créer des zones régionales exemptes de mines antipersonnel et arriver progressivement à une solution universelle.

Sur le continent américain, l'Organisation des Etats Américains (OEA) adopte en juin 1996 une résolution appelant à la création d'une zone sans mines sur le territoire des Amériques. L'Amérique Centrale fait de même par une déclaration conjointe élaborée par six ministres des affaires étrangères et les Etats du CARICOM visant à faire de l'Amérique centrale et des Caraïbes une zone sans mine antipersonnel d'ici l'an 2000. Dès le 12 septembre 1996, à Guatemala City, le Conseil des Ministres des Affaires étrangères d’Amérique Centrale adopte une résolution constituant cette région en zone d’interdiction des mines antipersonnel dans laquelle la production, l’achat, le transfert et l’usage de ces armes est prohibé et sanctionné.

Sur le continent africain, en mars 1995, seuls trois Etats africains, le Bénin, le Niger et la Tunisie sont partie à la Convention du 10 octobre 1980. Le Secrétaire Général de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) rappelle alors aux Etats membres que la résolution adoptée en juin 1995 qui prévoyait l'adhésion ou la ratification aux deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949, à la Convention du 10 octobre 1980 n'a pas été suivie d'effet et que la participation à la Conférence d'examen, à Vienne, du 25 septembre au 13 octobre 1995, implique leur adhésion à la Convention avant fin mars 1995. En février 1996, l'OUA soutient les initiatives d'organisations sous-régionales telles que celles de la SADC.

Malgré les divergences entre pays européens producteurs de mines, l'action de l'Union européenne comporte trois volets : un moratoire sur l'exportation des mines par les pays de l'Union, ensuite une approche commune de l'Union pour la Conférence de révision de la Convention de 1980, et enfin, une contribution de l'Union à l'effort international de déminage sous la forme notamment d'une assistance financière au fonds de déminage des Nations unies, d'une aide à l'organisation de la Conférence internationale de Genève ainsi que la mise en œuvre des moyens d'actions spécifiques de l'Union. Le 17 décembre 1992, le Parlement européen vote une résolution demandant à tous les Etats membres de signer la Convention de 1980 et de décréter un moratoire de cinq ans sur leurs exportations de mines antipersonnel. Le Parlement, en 1995, se prononce en faveur de l'interdiction totale et demande la mise en œuvre d'un programme spécial de déminage et de réhabilitation des populations civiles. En 1996, déplorant les résultats décevants des Conférences d'examen, le Parlement invite les Etats à décider de façon unilatérale l'interdiction totale des mines antipersonnel et demande à la Communauté la mise en place d'un programme de compensation pour les pays en voie de développement qui décident de remettre leurs mines pour destruction.

En 1995, le Conseil européen approuve une nouvelle action commune dans le cadre de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune pour ce qui concerne le déminage. C'est sur la base de l'article J.3 du Traité sur l'Union européenne que le Conseil adopte le 1er octobre 1996 une action commune relative aux mines antipersonnel.

§ III. Les initiatives des Etats au niveau international

En 1993, le gouvernement français subit la pression du mouvement provoqué par Handicap International pour sensibiliser à "l'urgence d'une Conférence internationale pour mettre un terme aux massacres de civils en temps de paix", des quinze mille signatures de citoyens français demandant la révision du droit international afin de parvenir à l'interdiction et de Mines Advisory Group qui organise un colloque au Sénat. Ces mouvements soutenus par Bernard Kouchner, poussent le chef d'Etat français à annoncer, à Phnom Penh, le 11 février 1993, que la France demande la Conférence de révision de la Convention de 1980, proclame un moratoire indéfini sur l'exportation des mines antipersonnel et appelle les autres Etats à se joindre à cette initiative. Handicap International renforce sa pression en organisant un nouveau colloque le 5 novembre 1993 à l'Institut International d'Administration Publique. On entend alors les premières prises de consciences de militaires et de parlementaires.

C'est parce qu'il participe à de nombreuses opérations de maintien de la paix et de déminage humanitaire en tant que pays d'aide au développement international, que le Canada est à l'origine de ce qui devient le Processus d'Ottawa pour que plus aucune mine ne soit posée. Il organise une conférence rassemblant des représentants de quarante et un Etats et de six cent cinquante ONG de la Campagne internationale contre les mines antipersonnel.

La campagne contre les mines montre que, comme cela avait été le cas aux origines du droit humanitaire, les réactions suscitées par la description et l'analyse de certaines situations qui heurtent les consciences peuvent déboucher sur des évolutions importantes de la réglementation internationale. On peut faire valoir que le fait de réglementer les mines antipersonnel au lieu de les interdire est contraire à l'esprit du droit humanitaire si on les considère comme inhumaines.

[Introduction] [Partie I] [Partie II et conclusion] [Bibliographie] [Chronologie]

[Mémoire complet]

 

CV Marika Demangeon

Marika Demangeon, doctorante en droit international à Paris X Nanterre
voir aussi Aequalitas, portail de la lutte contre les discriminations