Lutte contre les mines antipersonnel : Comment éradiquer ce fléau mondial ?

Partie II et Conclusion
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Mémoire de DEA présenté et soutenu par Marika Demangeon sous la direction de Sandra Szurek en novembre 1997

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Sommaire
Introduction
Partie I. Les règles juridiques et la mobilisation de la communauté internationale

Partie II. L'action de la communauté internationale
Chapitre I. De nouveaux instruments pour interdire les mines
Section I. La Convention de 1980 et la révision du Protocole II en 1996
Section II.     Le processus dans le cadre de la Conférence du désarmement
Section III. Le Processus d'Ottawa
Chapitre II. L'assistance aux populations
Section I. Les textes relatifs à l'assistance
Section II. L'aide aux victimes
Section III. Les actions de prévention et de sensibilisation
Chapitre III.L'aide aux pays affectés : le déminage
Section I. La décision de déminer
Section II. Les opérations de déminage
Section III. La consolidation de la paix
Conclusion
Bibliographie

Chronologie des conférences

Partie II. L'action de la communauté internationale

    Les sentiments humains et la pression de l'opinion publique influencent le droit international puisque les Organisations et les Etats évoluent progressivement d'une volonté de restreindre l'emploi des mines antipersonnel à l'idée de l'interdiction totale. Les négociations de 1996 à 1997 ont pour cadre la révision du Protocole II de 1980, la Conférence du désarmement et le Processus d'Ottawa qui doit aboutir à une nouvelle convention.

Chapitre I. De nouveaux instruments pour interdire les mines

Après le lancement de la campagne internationale, la stigmatisation de l'utilisation des mines terrestres antipersonnel dans une grande partie du monde crée, aujourd'hui, des circonstances encourageantes pour arriver à interdire ces armes excessivement nuisibles.

Section I. La Convention de 1980 et la révision du Protocole II en 1996

D'après la disposition de l'article 8 paragraphe 3 a de la Convention de 1980, si, dix ans après son entrée en vigueur, aucune Conférence d'examen n'a été convoquée, toute Haute Partie contractante peut prier le Secrétaire général de l'ONU, dépositaire, de convoquer toutes les Hautes Parties contractantes pour examiner la portée de l'application de la Convention et des Protocoles annexés et étudier toute proposition d'amendement. Suite à une visite du Président français au Cambodge, en février 1993, la France demande la convocation rapide de cette conférence, "le plus tôt possible à partir du 2 décembre 1993, date à laquelle le délai de dix ans aura expiré". La résolution A/RES/48/79 de l'AGNU appelle à la tenue d'une Conférence de Révision de la Convention de 1980.

Cette demande arrive après la signature de la Convention sur les armes chimiques, en janvier 1993. Or, celle-ci peut constituer un précédent et une référence. En effet, son article premier prévoit l'engagement des Etats de ne jamais mettre au point, fabriquer, acquérir, stocker, conserver, transférer, utiliser d'armes chimiques mais aussi de détruire les armes chimiques existantes.

§ I. Les travaux de la Conférence d'examen

Dès la première réunion du groupe d'experts, à Genève, en février 1994, des difficultés apparaissent sur trois points : l'extension de la Convention aux conflits internes, la durée de vie des mines programmables et la présence ou non des ONG.

En janvier 1995, l'absence de consensus sur les points essentiels lors de la quatrième réunion du groupe d'experts risque de rompre le processus de révision du droit international. Du point de vue des ONG, les engagements unilatéraux significatifs peuvent sauver la Conférence de révision prévue à l'automne.

Lors de la Conférence de révision de Vienne, en octobre 1995, les débats évoquent surtout la protection des non-combattants et les aspects techniques des mécanismes d'autodestruction et de détectabilité des mines. Les désaccords portent sur les procédures de contrôle et de vérification, sur les dispositifs de détectabilité, d'autodestruction et d'autoneutralisation.

Les négociateurs cherchent un improbable consensus mais plusieurs pays producteurs ou utilisateurs s'efforcent d'obtenir des exemptions particulières. Les partisans de l'interdiction totale des mines ne parviennent pas à convaincre certains Etats que cette solution est la seule satisfaisante du point de vue du droit humanitaire. Les ONG préfèrent un ajournement plutôt qu'un nouveau Protocole insuffisant. Face à l'impossibilité de parvenir à un accord minimal, il est décidé de suspendre les travaux.

Les discussions reprennent à Genève au début de l'année 1996 pour aboutir lors d'une dernière session, du 22 avril au 3 mai 1996, à une solution malgré de profondes divergences entre les parties. Si certains Etats souhaitent renforcer la protection des populations civiles et aller vers une interdiction totale des mines antipersonnel, d'autres cherchent à atténuer la portée des modifications apportées. Ainsi, la Chine et la Russie, grands producteurs de mines antipersonnel, s'opposent-elles à l'applicabilité immédiate de l'interdiction de certains types de mines.

Aussi, le texte adopté par consensus le 3 mai 1996 constitue-t-il un compromis entre ces diverses approches. Il témoigne de la difficulté de la communauté internationale à trouver les moyens d'endiguer l'utilisation incontrôlée des mines antipersonnel, même s'il comporte un certain nombre d'avancées.

§ II. Une avancée nécessaire mais insuffisante

En mai 1996, les partisans de l’interdiction des mines antipersonnel jugent décevant le bilan de la Conférence d'examen. Ainsi, le CICR estime que "les représentants des Etats parties à la Convention n'ont pas réussi à s'entendre sur un texte satisfaisant, de telle sorte que les bases juridiques qui permettraient de protéger efficacement la population civile n'existent toujours pas". Pour beaucoup d'observateurs, la Conférence de Genève d'avril-mai 1996 fait figure d'occasion manquée. D'après le rapport n°355 présenté par Mme Michaud-Chevry à la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat français, le 12 juin 1996, la révision du Protocole II constitue "une avancée nécessaire, mais insuffisante"

La Conférence et la campagne de sensibilisation qui l'a accompagnée n'auront toutefois pas été totalement inutiles : une vingtaine d'Etats renoncent à l'emploi des mines antipersonnel ou l'ont suspendu. Et malgré d’indéniables lacunes, la nouvelle version du Protocole apporte quelques améliorations. Les principales avancées portent sur l’extension de son champ d’application qui, désormais, englobe les conflits armés non internationaux, le renforcement des restrictions à l'emploi des mines antipersonnel, l'interdiction de certains types de mines, les limites au transfert. La Convention précise de nouvelles mesures de protection pour les populations civiles, le personnel du CICR et des ONG, l’attribution claire de la responsabilité du déminage aux poseurs de mines, l’obligation d’enregistrer l’emplacement de toutes les mines, de nouvelles mesures de protection pour le personnel humanitaire, la tenue de réunions annuelles des Etats parties et l’obligation faite aux Etats de sanctionner les violations graves des dispositions du Protocole II modifié.

Le champ d'application

Le Protocole modifié étend son champ d'application puisqu'il s'applique aux parties contractantes, même en cas de conflits internes, à l'exclusion "des situations de tension et de troubles intérieurs, telles que émeutes, actes de violence isolés ou sporadiques et autres actes de caractère similaire, qui ne sont pas des conflits armés". Or, les conflits internes connaissent l'utilisation la plus massive de mines antipersonnel.

La terminologie

La définition de l’expression mine antipersonnel suscite bien des controverses, puisqu’elle détermine la portée de toute réglementation concernant cette arme. Dans sa version amendée, le Protocole II à la Convention de 1980, définit une mine comme "un engin placé sous ou sur le sol ou une autre surface, ou à proximité, et conçu pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d’une personne ou d’un véhicule" et une mine antipersonnel comme "une mine principalement conçue pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d’une personne et destinée à mettre hors de combat, blesser ou tuer une ou plusieurs personnes".

L'emploi du terme principalement dans la nouvelle définition crée une ambiguïté qui peut affranchir de la réglementation des engins principalement conçus pour une utilisation autre qu'antipersonnel mais qui ont les mêmes effets. Les mines antipersonnel peuvent être vendues sous une autre appellation. Le CICR est fermement opposé à la présence du terme principalement dans cette définition car, ainsi formulée, elle pourrait être interprétée comme excluant les mines hybrides, c'est à dire à double usage. Sont concernés certains engins à effet à la fois antipersonnel et antichars. Toutes les mines conçues pour blesser ou tuer des personnes doivent être considérées comme des mines antipersonnel. Le terme principalement inclus dans la définition d'une mine antipersonnel lors de la révision du Protocole II de la Convention de 1980 doit être banni. Cette définition est essentielle pour une interdiction efficace des mines antipersonnel. Toute ambiguïté laisse la porte ouverte à des échappatoires : au lieu d'éradiquer une arme inhumaine, la réglementation favorise la diversité technologique en encourageant le développement de nouveaux types de mines.

Pour échapper à la réglementation internationale, les producteurs s'appuient souvent sur les ambiguïtés de la terminologie. Certains désignent par exemple les pièges protégeant les mines antichars comme des mines de contre-déminage alors que ce sont toujours des mines antipersonnel. D'autres vont vendre des engins que l'on ne peut pas qualifier de mines antipersonnel mais qui peuvent, avec un petit équipement supplémentaire ajouté dans des pays qui n'adhèrent pas aux conventions internationales, devenir très facilement des mines antipersonnel. Toute ambiguïté de la définition donnée à la notion de mine antipersonnel permet à des sociétés de proposer des engins antichars qui, du point de vue de leurs effets, peuvent être assimilés à des mines antipersonnel.

Pour éviter ce risque de contournement de la réglementation, certains Etats effectuent une déclaration interprétative considérant que le terme principalement vise uniquement à préciser que "les mines conçues pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d'un véhicule, par opposition à une personne, et qui sont équipées de dispositifs antimanipulation, ne sont pas considérées comme étant des mines antipersonnel au motif qu'elles sont ainsi équipées". Il s'agit donc, par cette déclaration, de préciser que l'emploi du terme principalement ne vise qu'à exclure des mines antivéhicules munies de dispositifs antimanipulation, c'est-à-dire de dispositifs destinés à protéger la mine et qui se déclenchent en cas de manipulation de celle-ci.

En dépit de cette déclaration interprétative, la définition retenue par le nouveau Protocole II introduit une ambiguïté préjudiciable à son application. Néanmoins, cette Convention pose clairement le principe de l'interdiction de certains types de mines.

Les restrictions et les obligations

L'article 3 interdit l'emploi des mines équipées d'un dispositif spécifiquement conçu pour déclencher l'explosion sans qu'il y ait contact, sous l'effet d'un champ magnétique ou sous une autre influence générés par la présence d'un détecteur de mines courant, utilisé pour le déminage. Il interdit également tout type de mines se désactivant d'elles-mêmes mais pourvues d'un dispositif antimanipulation conçu pour demeurer apte à fonctionner alors que la mine est désactivée. Cette interdiction s'applique aux mines antipersonnel et aux mines antivéhicules.

L'article 4 et le paragraphe 2 de l'annexe technique interdit l'emploi de mines antipersonnel non détectables. Dans la structure des mines antipersonnel fabriquées après le 1er janvier 1997, il doit être incorporé un matériau ou un dispositif qui la rend détectable à l'aide d'un matériel courant de détection des mines et qui émet un signal en retour équivalent à celui de huit grammes de fer ou plus formant une masse critique. Pour les mines antipersonnel fabriquées avant le 1er janvier 1997, il doit en être de même, soit en incorporant, soit en attachant à ces mines un matériau identique.

Mais, certains Etats, dont la Chine, ont obtenu le bénéfice d'une période transitoire de neuf ans au plus, leur permettant de continuer à utiliser telles quelles les mines non détectables fabriquées avant le 1er janvier 1997. En effet, dans le cas où un Etat partie juge qu'il ne peut pas immédiatement respecter l'obligation de modifier ces mines pour les adapter aux normes de détectabilité, il peut déclarer, au moment où il notifie son consentement à être lié par le Protocole II, qu'il en différera le respect pendant une période qui ne dépassera pas neuf ans à partir de l'entrée en vigueur du Protocole. Durant la période transitoire, l'Etat concerné devra limiter, autant que possible, l'emploi des mines non conformes. Le délai de neuf ans laissé aux fabricants et aux exportateurs pour appliquer les nouvelles normes choque les ONG.

Le nouveau Protocole établit une différence de traitement entre les mines rudimentaires et les mines programmables. Plusieurs interdictions frappent les mines non pourvues de dispositifs d'autodestruction ou d'autoneutralisation dans les articles 5 et 6. Le texte limite la durée de vie des mines à celle des besoins militaires et évite la persistance des effets à long terme en rendant les mines inactives. En légitimant une nouvelle génération de mines antipersonnel intelligentes, pour arriver au consensus, les négociateurs s'éloignent de l'objectif d'interdiction totale de ces engins. Mais ces concessions permettent aux grands pays producteurs comme la Chine, la Russie ou l'Inde, de signer une convention interdisant une grande partie des matériels qu'ils fabriquent.

Les dispositions concernant l'autodestruction et l'autodésactivation touchent les mines mises en places à distance et, parmi les autres, celles utilisées en dehors des zones marquées. Les mines posées en dehors d'un champ de mines doivent être munies d'un mécanisme d'autodestruction et de désactivation. Elles doivent être "conçues et fabriquées de manière à ce qu'il n'y ait pas plus de 10 % des mines activées qui ne se détruisent pas d'elles-mêmes dans les trente jours suivant la mise en place. Chaque mine doit également être dotée d'un dispositif complémentaire d'autodestruction conçu et fabriqué de manière à ce que, du fait de son fonctionnement combiné avec celui du mécanisme d'autodestruction, il n'y ait pas plus d'une mine active sur mille qui fonctionne encore en tant que mine cent vingt jours après sa mise en place". Ses normes techniques très précises ont pour but d'atténuer les effets catastrophiques des mines. Mais aucun moyen n'est mis en place pour assurer le respect de ces dispositions.

Selon l'article 5, l'usage de mines non conformes à ces prescriptions reste autorisé dans quelques cas : si elles sont placées dans une zone dont le périmètre est marqué, surveillée par un personnel militaire, protégée par une clôture empêchant les civils d'y pénétrer ; si elles sont enlevées avant l'évacuation de la zone ; s'il s'agit de mines projetant des éclats selon un axe horizontal inférieur à 90° placées pour moins de soixante-douze heures, à proximité immédiate de l'unité militaire qui les a mises en place et surveillées afin que des civils ne puissent pénétrer dans la zone.

Selon l'article 6 les mines antipersonnel mises en place à distance doivent se conformer aux prescriptions de l'annexe technique relatives à l'autodestruction et à l'autodésactivation. Les dispositions de cet article sont si complexes à mettre en œuvre qu'elles n'offrent qu'une protection illusoire contre les effets indiscriminés de cette méthode de combat. En effet, les mines mises en place à distance sont particulièrement dangereuses car elles sont posées en grande quantité en peu de temps, de telle sorte que leur utilisation est difficile à encadrer.

Les mines antichars mises en place à distance bénéficient de mesures moins contraignantes puisqu'elles sont interdites, "à moins que, dans la mesure du possible, elles soient équipées d'un mécanisme efficace d'autodestruction ou d'autoneutralisation et comprennent un dispositif complémentaire d'autodésactivation conçu de telle sorte que ces mines ne fonctionnent plus en tant que telles lorsqu'elles ne servent plus aux fins militaires pour lesquelles elles ont été mises en place". La durée de vie maximale de ces mines n'est pas définie, ni le degré de fiabilité des dispositifs de neutralisation, de désactivation ou de destruction. Ces dispositions n'ont aucun caractère réellement contraignant.

Mais l'interdiction des mines non pourvues de mécanismes d'autodestruction et d'autodésactivation peut être différée puisqu'une période transitoire de neuf ans au plus est prévue pour les parties qui le demandent lorsqu'elles notifient leur consentement. La tolérance est importante puisque, durant cette période transitoire, l'emploi des mines antipersonnel non conformes aux normes et fabriquées avant l'entrée en vigueur du protocole reste autorisé. La partie concernée s'engage seulement à en limiter l'emploi autant que possible et doit satisfaire aux exigences d'autodésactivation pour toutes les mines fabriquées, et d'autodestruction pour celles conçues pour être mises en place à distance.

Les mines doivent comporter de façon indélébile la mention des pays d'origine, du mois et de l'année de fabrication ainsi que du numéro de série ou du numéro du lot. Cette mesure devrait permettre de contrôler le transfert des mines.

L'enregistrement devient obligatoire pour les mines mises en place à distance, alors qu'en 1980 il ne l'était que pour celles d'entre elles pourvues de mécanismes de neutralisation. Plusieurs améliorations sont apportées par l'annexe technique en matière d'enregistrement pour mieux localiser les champs de mines et les renseignements à fournir sont plus complets : "L'emplacement et l'étendue estimés de la zone où se trouvent les mines mises en place à distance doivent être indiqués par rapport aux coordonnées de points de référence" et non d'un point unique. Ils doivent être vérifiés et, lorsque cela est possible, marqués au sol à la première occasion. "Le nombre total et le type de mines posées, la date et l'heure de la pose et le délai d'autodestruction doivent aussi être enregistrés". Le nouveau Protocole II pose le principe de responsabilité du poseur des mines. Chaque partie au conflit est responsable de toutes les mines qu'elle a employées et s'engage à les enlever, les retirer, les détruire ou les entretenir, sans retard après la cessation des hostilités actives. Selon l'article 10, lorsqu'une des parties au conflit perd le contrôle d'une zone qu'elle a minée, elle fournit à la partie qui en a désormais le contrôle, l'assistance technique et matérielle dont elle a besoin pour assurer l'enlèvement.

La notion d'objectif militaire donnée en 1980 est affinée en vue d'éviter qu'elle n'aboutisse à frapper des civils. Les lieux normalement consacrés à un usage civil tels que les lieux de cultes, les logements et les écoles ne peuvent constituer des objectifs militaires. De même, plusieurs objectifs militaires nettement séparés et distincts et situés dans une localité ou une zone civile ne constituent pas un objectif unique. Enfin, les précautions à prendre pour protéger les civils des effets des mines sont, elles aussi, précisées.

L'article 8, édicte un certain nombre de principes : chaque partie contractante "s'engage à ne pas transférer de mines dont l'emploi est interdit […], à ne pas transférer de mines à un destinataire autre qu'un Etat ou un organisme d'Etat habilité à en recevoir", […] à faire preuve de retenue en matière de mines dont l'emploi est restreint par le Protocole, en particulier […] à ne pas transférer de mines antipersonnel à des Etats qui ne sont pas liés par le Protocole, sauf si l'Etat qui les reçoit accepte d'appliquer le présent Protocole, […] à assurer que tout transfert […] se fait dans le respect entier, à la fois par l'Etat qui transfère les mines et par celui qui les reçoit, des dispositions pertinentes du présent Protocole et des normes du droit humanitaire international applicables."

Le transfert des mines fabriquées antérieurement à l'entrée en vigueur du Protocole et non conformes à celui-ci n'est pas autorisé même si les Etats qui bénéficient de la période transitoire continuent à les utiliser.

Le suivi et la mise en œuvre

Le Protocole ne prévoit pas de moyen particulier pour assurer le respect des engagements des parties relatifs aux transferts de mines. Il existe d'autres outils qui contribuent à maintenir la transparence dans le transfert et l’utilisation des mines antipersonnel : le Registre des armes classiques des Nations Unies, le Groupe d’experts gouvernementaux sur les armes légères, les résolutions de l’Assemblée Générale visant à freiner les transferts illicites d’armes classiques, le système d’établissement de rapports normalisés sur les dépenses militaires, les directives de la Commission du désarmement des Nations Unies relatives aux transferts internationaux d’armes.

Des contrôles régionaux propres à certains types d'armes pourraient être remplacés par un contrôle international. Le comité de coordination pour le contrôle multilatéral des exportations (COCOM), créé pour contrôler les ventes de technologies vers les pays de l'Est est réformé.

En ce qui concerne la coopération et l'assistance technique, les Etats parties s'engagent à faciliter un échange aussi large que possible d'équipements ou de renseignements scientifiques ou techniques utiles à l'application du Protocole et à fournir les renseignements nécessaires à la base de données sur le déminage établie par les Nations Unies. Ils sont invités à fournir une assistance au déminage ou, inversement, à la solliciter.

Les dispositions de l'ancien Protocole II relatives à la protection des forces et missions des Nations Unies qui s'acquittent de fonctions de maintien de la paix, d'observation ou de fonctions analogues dans une zone minée sont étendues aux missions d'établissement des faits ou à caractère humanitaire d'organismes des Nations Unies, aux missions du CICR et aux autres missions à caractère humanitaire ou missions d'enquête.

Chaque année, les parties contractantes adressent au Secrétaire général des Nations Unies un rapport relatant les actions entreprises par les parties sur le plan législatif mais aussi en matière de respect des prescriptions du Protocole, de déminage ou de coopération internationale. La conférence annuelle des parties contractantes examine les questions posées par les rapports.

Les Etats parties s'engagent à prendre des mesures internes pour prévenir et réprimer les violations des dispositions du protocole, notamment des sanctions pénales à l'encontre des personnes ayant intentionnellement provoqué la mort ou la blessure de civils en contradiction avec le Protocole. Par ailleurs, les forces armées des parties doivent faire connaître les instructions militaires et former leurs personnels au respect des dispositions du Protocole.

La faculté pour les parties qui le demandent d'obtenir une période transitoire très longue pour se conformer aux normes de détectabilité et de mécanisme de fin de vie des mines constitue très certainement un point faible du nouveau protocole II. Durant cette période, le transfert des mines non conformes provenant des stocks existants est certes interdit, mais non leur emploi. Cette clause a été adoptée sous la pression de certains grands pays producteurs comme la Chine ou la Russie. Le délai de mise en conformité, susceptible d'atteindre neuf ans, peut être considéré comme excessivement long au regard du rythme de production actuel et de l'ampleur des ravages en cause.

L'opposition de certains Etats non alignés au nom du respect de la souveraineté nationale et du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures a fait obstacle à l'instauration de mécanismes de vérification et de sanction. On peut s'étonner du contraste entre la précision donnée pour définir le seuil de détectabilité des mines ou la fiabilité de leurs mécanismes d'autoneutralisation ou d'autodésactivation et l'absence de dispositions pour assurer le respect des multiples prescriptions techniques édictées par le Protocole.

Les modifications du Protocole II, décidées le 3 mai 1996, entreront en vigueur six mois après que vingt Etats auront accepté d’y être liés. A ce jour, dix Etats l'ont ratifié. Le CICR demande instamment à un maximum d'Etats d’accepter le Protocole II modifié pour que celui-ci entre en vigueur aussi rapidement que possible.

De nombreuses initiatives unilatérales sont prises aux niveaux national et régional pour limiter les conséquences de l'échec consternant de la Conférence de révision de la Convention de 1980. Elles visent à pousser les pays à adopter des interdictions ou des moratoires à l'égard de la production, du stockage, de l'utilisation et du transfert des mines antipersonnel. Elles incitent les pays non producteurs à prendre des mesures visant à interdire l'importation des mines antipersonnel

Le bilan

En résumé, le principe de la responsabilité du poseur de mines est affirmé. Les principales insuffisances du nouveau protocole tiennent à la longue période transitoire obtenue par certains pays et surtout à l'absence de mécanismes de vérification du respect des dispositions du protocole ainsi qu'à l'ambiguïté introduite dans la définition des mines par l'expression essentiellement conçues. Il légalise l'utilisation des mines dites intelligentes. Il n'est pas applicable dans tous les cas puisque c'est l'Etat concerné qui caractérise le trouble interne ou le conflit interne. La révision du Protocole II constitue incontestablement une étape sur la voie de l'interdiction totale. Bien que les modifications apportées n'aillent pas aussi loin que certains pays signataires le souhaitent, l'amélioration du seul texte international relatif aux mines antipersonnel permet à de multiples initiatives de se manifester et relance l'action internationale en vue d'obtenir plus tard l'interdiction totale des mines antipersonnel.

Le traité de 1996 sera l'instrument de droit international qui limite l'usage indiscriminé des mines antipersonnel. Il est essentiel que le maximum d'Etats le ratifie pour qu'il soit mis en œuvre en attendant que se mettent en place d'autres instruments plus contraignants qui doivent attendre de recevoir l'adhésion des pays les plus concernés. En attendant, les Etats parties continuent à être liés par le Protocole II initial, seul instrument juridique relatif aux mines en vigueur à ce jour.

Section II. Le processus dans le cadre de la Conférence du désarmement

Créée en 1978, par la première session extraordinaire sur le désarmement de l'AGNU, la Conférence du Désarmement est l'organe délibérant spécialisé du mécanisme multilatéral des Nations Unies pour le désarmement.

Composée à l'origine de quarante membres, elle en compte aujourd'hui soixante trois avec les vingt trois nouveaux depuis 1996 et invite d'autres Etats membres de l'ONU à participer à ses travaux sans en être membres. Organe autonome, elle est pourtant très liée à l'Assemblée Générale et a comme point d'appui le Centre des Affaires de désarmement. Menant ses travaux sur la base de la règle du consensus, ce qui ralentit le processus de décision, elle se réunit chaque année, à Genève, pour une négociation en vue d'étudier et de négocier des mesures multilatérales de désarmement.

La Campagne internationale pour interdire les mines estime que la Conférence du Désarment ne constitue pas l'instance de négociation la plus appropriée. En effet, il lui est reproché de ne fonctionner que par recherche de l'unanimité et de faire prévaloir les enjeux stratégique sur le respect du droit humanitaire. A contrario, certains Etats considèrent que cette instance peut être utilisée pour poursuivre les négociations qui peuvent dégager des solutions vérifiables et universelles en incluant les Etats producteurs et utilisateurs de mines antipersonnel.

Section III. Le Processus d'Ottawa

Après l'échec de la Conférence de révision de la Convention de 1980, en mai 1996, les Etats qui défendent l'interdiction totale des mines antipersonnel et ne se satisfont pas des résultats obtenus à Genève, proposent de s'engager vers une nouvelle initiative diplomatique. Aussi, le 3 mai 1996, lors de la dernière session, le représentant du gouvernement canadien annonce son intention de réunir à Ottawa, en octobre 1996, les Etats et les ONG favorables à l'interdiction des mines antipersonnel. Une dizaine d'Etats de moyenne puissance suivent aussitôt le Canada.

C'est du 3 au 5 octobre 1996, que se tient à Ottawa la première réunion préconisant l'interdiction des mines réunissant une cinquantaine de pays qui constituent le Groupe d'Ottawa. Sont également présents les représentants des Nations Unies, du CICR et de la Campagne internationale pour l'interdiction des mines terrestres. Le Ministère des affaires étrangères et du commerce international du Canada définit le Processus d'Ottawa comme une initiative diplomatique accélérée visant à négocier et à signer, au plus tard en décembre 1997, une convention internationale interdisant l'emploi, la production, le transfert et le stockage des mines antipersonnel.

§I. Les différentes étapes du Processus d'Ottawa

Les participants partagent la volonté d'agir vite pour réduire le tragique bilan quotidien de morts et de blessés. Le moment est propice à une action rapide et efficace voulue par la communauté internationale. Après quelques mois, ce sont cent cinquante six pays qui appuient la résolution 51/45 S de l'AGNU qui exhorte les Etats à "mener à bien dès que possible les négociations relatives à un accord international efficace et juridiquement contraignant pour interdire l'utilisation, le stockage, la fabrication et le transfert des mines antipersonnel". Le Traite est la concrétisation de cette résolution. Le Processus d'Ottawa comporte quatre étapes.

L'adoption de la Déclaration d'Ottawa, octobre 1996

La Conférence stratégique internationale d'Ottawa s'achève par l'adoption d'une déclaration par laquelle les Etats du Groupe d'Ottawa conviennent de "renforcer la coopération et la coordination des efforts pour la lutte contre les mines antipersonnel". Ils s'engagent également à collaborer pour "conclure le plus tôt possible une entente internationale légalement obligatoire pour interdire les mines antipersonnel" et "réduire progressivement les nouveaux déploiements de mines antipersonnel, avec l'objectif pressant d'arrêter complètement tout nouveau déploiement de mines antipersonnel".

Sur fond de cette déclaration, le plan d'action d'Ottawa coordonne les programmes d'interdiction totale, de déminage et d'aide aux victimes. Les efforts, sur le plan régional et mondial, visent à parvenir à la conclusion d'une convention internationale d'interdiction des mines ayant force contraignante. Pour y parvenir, il s'agit de sensibiliser la population et mobiliser la volonté politique, d'étudier la question de l'utilité militaire des mines et des effets des mines sur les civils, d'accroître les échanges d'informations et de données. Ces données structurées dans des bases de données mondiales concernent surtout les études sur les productions et le commerce des mines. Des conférences de suivi sont prévues. Le plan d'action prévoit aussi d'accroître les fonds de déminage et d'assistance aux victimes des régions qui créent des zones sans mines, de mettre en place des procédures normalisées en matière de sensibilisation aux mines et d'inscrire le déminage humanitaire dans les accords de paix.

Simultanément, le Groupe d'Ottawa incite les Etats à promouvoir les moratoires et lois nationales et à ratifier le Protocole II modifié de la Convention sur les armes classiques pour une entrée en vigueur rapide.

En conclusion de cette première conférence, le ministre des affaires étrangères du Canada, M. Axworthy, invite les pays du monde entier à revenir à Ottawa en décembre 1997, pour signer un traité qui doit conduire à l'adoption d'une convention d'interdiction totale de la fabrication, du stockage, de l'utilisation et de l'exportation des mines antipersonnel terrestres.

Deux approches se manifestent en vue d'y parvenir. Autour du Canada, les partisans du Processus d'Ottawa privilégient la négociation rapide d'un texte international juridiquement contraignant, même s'il ne fait pas l'unanimité, tandis que d'autres Etats regrettent la négociation d'un traité laissant à l'écart de grands pays producteurs comme l'Inde, la Chine et la Russie et considèrent que la Conférence du désarmement des Nations Unies reste le cadre de négociation souhaitable pour discuter de l'interdiction totale avec tous les pays concernés.

La Conférence de Bruxelles, juin 1997

L'Autriche prépare le texte du projet de traité discuté tout long de l'année 1997. Les premiers travaux sur le texte du projet de traité, à Vienne, du 12 au 14 février 1997, sont suivis par cent onze Etats. Ces négociations permettent à l'Autriche de proposer, en mars 1997, le nouveau projet de traité qui s'inscrit dans une perspective assez différente du Protocole II de la Convention de 1980. L'étape suivante se déroule à Bonn, les 24 et 25 avril 1997, où cent vingt Etats envoient des experts en matière de vérification et de conformité du traité.

Du 24 au 27 juin 1997, la Conférence de Bruxelles constitue une étape intermédiaire significative dans le Processus d'Ottawa. Une centaine d'Etats s'engagent au cours de la Conférence internationale pour entamer les négociations officielles en vue de signer un traité d'ici décembre et échangent des vues au sujet du texte du projet de traité.

Une différence d'approche divise les pays participants : certains souhaitent des mesures de confiance et de transparence, inspirées par le respect du droit humanitaire, tandis que d'autres réclament des mesures de contrôle intrusives dans le contexte de la réglementation du désarmement.

La Conférence aboutit à la Déclaration de Bruxelles du 27 juin 1997 à laquelle adhèrent quatre-vingt-dix-sept pays qui ont pour objectif de conclure avant la fin de l'année une Convention d'interdiction totale des mines terrestres antipersonnel. Elle prévoit l'interdiction totale des mines antipersonnel, la coopération et l'assistance internationales en matière de déminage.

La France est le premier pays à souscrire, dès l'ouverture de la Conférence, à cette Déclaration. Six Etats d'Asie signent la Déclaration de Bruxelles : Cambodge, Fidji, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Philippines. La Déclaration de Bruxelles fait référence à la résolution 51/45 S de l'AGNU du 10 décembre 1996 appuyée par cent cinquante-six pays. Les acteurs de la Campagne Internationale intensifient leur action pour que tous ceux qui appuyaient cette résolution soient présents à Ottawa en décembre 1997 et signent le traité d'interdiction.

La Conférence d'Oslo, septembre 1997

Le Processus d'Ottawa se poursuit avec une Conférence à Oslo au mois de septembre 1997, organisée pour négocier officiellement le texte du traité et préparer la Conférence de signature du traité en décembre. Cette conférence est marquée par la mise au point d'un traité qui satisfait les ONG, mais que les Etats-Unis rejettent. Le texte est adopté par acclamation le 18 septembre 1997. Il est approuvé par quatre-vingt neuf pays qui représentent 10 % de la population mondiale.

Arguant de la sécurité et la défense des militaires américains, les USA posent trois conditions. Ils demandent la possibilité pour un Etat de se retirer du traité en cas d'agression armée en violation de la Charte des Nations Unies, de continuer à utiliser les mines intelligentes qui s'autodétruisent pour protéger les mines antichars ; enfin, ils veulent que l'entrée en vigueur du traité soit portée à neuf ans après sa signature. Cette proposition américaine ne peut être acceptée que si elle recueille les deux tiers des voix. Mais, elle est jugée inacceptable par la plupart des délégations. Le retrait américain affaiblit le Processus d'Ottawa, mais les concessions demandées auraient abouti à un traité lacunaire.

La signature du Traité à Ottawa, 3 et 4 décembre 1997

Aujourd'hui, une centaine d'Etats déclarent vouloir signer le texte adopté à Oslo. Les pays qui ne signeront pas en décembre pourront signer ultérieurement. Lorsqu'il annonce que les Etats-Unis ne signeront pas le traité négocié à Oslo, le Président Clinton invoque son devoir, en tant que chef des armées, de garantir la sécurité des troupes américaines. Le Pentagone doit poursuivre les recherches pour trouver des substituts aux mines mais, actuellement, leur prohibition totale est considérée comme contraire aux intérêts stratégiques américains. L'attribution du Prix Nobel de la Paix aux partisans d'une interdiction stricte ne modifie pas la position américaine dans l'immédiat. En mai 1997, le Gouvernement britannique annonce son changement de position à l'échéance de 2005. Désormais, la Grande-Bretagne est davantage favorable au Processus d'Ottawa qu'à la Conférence du désarmement. La Russie semble se rallier à ce processus sans préciser quand elle signerait le traité, de telle sorte qu'elle peut-être considérée comme demeurant indécise. Longtemps réticent, le Japon se dit prêt à signer le Traité d'Ottawa, tout comme la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines et le Cambodge.

Les acteurs du Processus d'Ottawa souhaitent que le traité entre en vigueur rapidement en raison de "l'urgence humanitaire". C'est pourquoi la Convention est ouverte à la signature, pour tous les gouvernements, dès les 3 et 4 décembre 1997, dans le cadre de la Conférence intergouvernementale d'Ottawa puis au siège des Nations Unies à New York à partir du 5 décembre 1997. Selon l'article 17, son entrée en vigueur intervient six mois après que quarante gouvernements aient notifié au Secrétaire Général des Nations Unies qu'ils sont formellement liés par ses dispositions, à la suite d'une ratification ou d'une acceptation, conformément aux procédures nationales.

Pour chaque Etat qui souhaite adhérer après cette date, l'entrée en vigueur intervient dans un délai de six mois après le dépôt de son instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion. Chaque Etat peut se retirer de la Convention mais le retrait n'intervient qu'après un délai de six mois et si l'Etat n'est pas engagé dans un conflit.

Les acteurs de la Campagne Internationale œuvrent pour que la Convention entre rapidement en vigueur. Mais les procédures de ratification sont souvent longues. Il peut sembler regrettable qu'aucune disposition ne permette d'accélérer le processus dans le cas où les conditions ne seraient pas réunies pour une entrée en vigueur proche, c'est-à-dire fin 1998.

§ II. La Convention de 1997 sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction

Le préambule du Traité illustre la volonté de le placer dans une logique de continuité puisqu'il se réfère à la révision de la Convention de 1980, à la résolution 51/45S de l'AGNU, aux Déclarations d'Ottawa du 5 octobre 1996 et de Bruxelles du 27 juin 1997. Il rappelle également "le principe du droit international humanitaire selon lequel le droit des parties à un conflit de choisir des moyens ou des méthodes de guerre n'est pas illimité, le principe qui interdit d'employer dans les conflits armés des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus et le principe selon lequel il faut établir une distinction entre civils et combattants". Cette Convention se situe donc clairement dans une perspective humanitaire.

Le Traité d'Ottawa et l'interdiction totale

Le texte adopté à Oslo prévoit l'interdiction totale des mines antipersonnel, la coopération et l'assistance internationales en matière de déminage et propose des mesures de contrôle de l'application du Traité.

D'après l'article 1er, paragraphe 1, chaque Etat partie s'engage à ne jamais employer, mettre au point, produire, acquérir, stocker, conserver, transférer des mines antipersonnel. L'incitation à l'utilisation des mines est aussi interdite. La conservation et le transfert ne sont autorisés que pour la mise au point de techniques de détection, de déminage et de destruction. Qu'entend-on par transfert ? D’après le Code de conduite international relatif aux transferts d’armes du 29 mai 1997, rédigé par plusieurs lauréats du Prix Nobel de la Paix, il s’agit des transactions résultant en un transfert de propriété et/ou de contrôle et des déplacements physiques de toute arme d’une entité territoriale vers une autre. Les transferts comprennent aussi les transferts de savoir-faire, d’informations, de conception, de technologie ou de biens faisant l’objet d’un accord de licence et de coproduction, les arrangements de location et les livraisons sans compensation, les soutiens logistiques et financiers.

Selon le paragraphe 2 de ce même article, chaque Etat partie s'engage à détruire toutes les mines antipersonnel ou à veiller à leur destruction et même à veiller à ce que les autres Etats parties fassent de même. Mais l'article 5 précise que chaque Etat partie s'engage à détruire toutes les mines antipersonnel dans les zones minées sous sa juridiction ou son contrôle ou à veiller à leur destruction. L'engagement ne s'exerce donc que sur le territoire et les espaces maritimes sur lesquels l'Etat a une compétence ou qu'il occupe. D'après Jean-Michel Favre, il ne semble pas qu'un Etat partie soit tenu de détruire les mines posées sur un territoire qui n'est plus de sa compétence et antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la convention. Des extensions de délais d'enlèvement des mines, pouvant aller jusqu'à dix ans, peuvent être accordées par les assemblées d'Etats parties aux pays gravement affectés.

Le Traité d'Ottawa et l'universalité

Le préambule appelle à promouvoir l'universalisation de la nouvelle convention "dans toutes les enceintes appropriées, notamment les Nations Unies, la Conférence du désarmement, les organisations régionales et les groupements ainsi que les conférences d'examen de la Convention sur l'interdiction ou la limitation de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets excessifs ou comme frappant sans discrimination".

Ce sera la première fois que le droit international humanitaire interdira une arme aussi largement utilisée. L'adhésion au Traité ne sera pas immédiatement universelle mais il s'approchera progressivement de l'universalité au fil des ratifications successives. En outre, s'il est accepté par un grand nombre d'Etats, il pourrait donner naissance à de nouvelles normes coutumières de portée universelle, à l'image de la réglementation relative à l'emploi des balles dum-dum. En effet, selon Hubert Védrine, ministre français des affaires étrangères, en fonction du nombre d'Etats signataires, l'existence du nouveau traité "aura nécessairement un impact sur le comportement des autres gouvernements". Par ailleurs, il estime que le dialogue doit se poursuivre avec les Etats non signataires, dans le cadre de la Conférence du désarmement et suggère que l'interdiction des transferts de mines soit rapidement négociée dans le cadre de cette Conférence pour lui donner vocation à l'universalité.

Le nouveau traité d'interdiction totale devra aussi organiser sa complémentarité avec la Convention de 1980. La diversité des situations en cas de conflits évoluera avec l'entrée en vigueur du Protocole de 1996 et au fur et à mesure des adhésions aux différents traités.

Le suivi, le contrôle, les poursuites et les sanctions

C'est l'Assemblée des Etats parties, instituée par l'article 11 et chargée des questions concernant l'application de la Convention qui examine la question de la destruction des mines antipersonnel. L'article 7 du Traité négocié à Oslo est relatif aux mesures de transparence. Il établit notamment un système de rapports annuels que les Etats parties doivent transmettre au Secrétaire Général des Nations Unies. Cette approche est comparable aux mécanismes de suivi qui peuvent exister pour d'autres conventions de désarmement ou en matière de Droits de l'Homme.

Le Secrétaire général des Nations Unies convoquera l'Assemblée des Etats parties dans un délai d'un an après l'entrée en vigueur de la Convention, et ensuite chaque année. La première Conférence d'Examen se réunira cinq ans après l'entrée en vigueur de la Convention. Elle évaluera l'application du Traité et pourra convoquer des assemblées complémentaires. Par la suite, les conférences seront organisées à la demande de l'un ou de plusieurs des Etats parties, l'intervalle entre deux convocations devant être de cinq ans au minimum. Le CICR pourra être invité à ces conférences en qualité d'observateur.

Des amendements à la Convention peuvent être adoptés par une conférence spéciale d'amendement, à la majorité des deux tiers des Etats parties présents et votants.

L'article 8 traite du contrôle de la mise en œuvre du Traité dans le cadre d'un mécanisme d'enquête pour établir les faits. L'application du système suppose la mise en cause d'un Etat partie par un autre.

En cas de violations alléguées des dispositions du présent traité, une réunion d'Etats parties décidera de dépêcher une mission d'établissement des faits. Le projet ne criminalise pas les activités liées aux mines ; il ne met pas en place des procédures permettant de poursuivre devant un tribunal les responsables gouvernementaux ni les professionnels du secteur industriel et médical qui prêteraient leurs compétences à la fabrication et à l'exportation des mines. Il peut sembler opportun d'élargir au maximum la portée du principe selon lequel les Etats parties à une convention de droit international humanitaire s'engagent non seulement à la respecter, mais aussi à la faire respecter. Les Etats doivent garantir la suppression des violations par des personnes en prenant sur le plan national, des mesures législatives, administratives et autres. Ils ont le devoir de sanctionner toute personne qui enfreindrait l'interdiction totale imposée par la convention internationale. C'est le but poursuivi par François Rochebloine, dans sa proposition de loi déposée à l'Assemblée Nationale les 13 mars et 23 juillet 1997. Il qualifie le fait de poser ou de faire poser des mines d'assassinat et demande l'insertion d'un article adapté dans le code pénal. Pour frapper fort, il propose une section complémentaire IV bis intitulée "Du trafic de mines antipersonnel" dans le chapitre II du livre II du code pénal et prévoit des peines pour le trafic de mines identiques à celles appliquées au trafic de stupéfiants.

Le Traité d'Ottawa est une étape importante vers l'interdiction totale. Il intègre les aspects militaires et humanitaire. Il est le résultat de la mobilisation générale de la société civile.

Chapitre II. L'assistance aux populations

Pour diminuer les effets des mines sur les victimes et leurs pays, des mesures de prévention sont indispensables : localisation et signalisation des zones polluées, sensibilisation de la population aux risques à éviter, déminage, soins et assistance aux victimes.

Section I. Les textes relatifs à l'assistance

Selon les dispositions de l'article 39 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, il incombe aux Etats parties de prendre "toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale" des enfants victimes de conflit armé. La résolution 48/96 de l'AGNU du 20 décembre 1993 relative aux règles pour l'égalisation des chances des handicapés peut également être prise en considération.

Dans sa résolution 1997/78 relative aux droits de l'enfant, la Commission des Droits de l'Homme "invite les organes compétents des Nations Unies, y compris le fonds d'affectation spéciale pour l'assistance au déminage, à contribuer d'une façon permanente aux efforts internationaux de déminage, et engage les Etats à prendre de nouvelles mesures pour promouvoir des programmes de sensibilisation aux mines visant filles et garçons et adaptées en fonction de l'âge, ainsi qu'une réadaptation centrée sur l'enfant, de manière à réduire le nombre d'enfants victimes et à améliorer leur sort". Par ailleurs, il est envisageable que les travaux de la commission concernant le droit à réparation des victimes de violation des droits de l'homme et du droit international humanitaire aient des incidences sur les droits des victimes des mines.

Dans son article 6, paragraphe 3, la Convention d'Ottawa dispose que chaque Etat partie en mesure de le faire fournit une assistance aux victimes des mines en matière de soins, réadaptation, réintégration sociale et économique. La mention "qui sont en mesure de le faire" montre que l'aide au victimes des pays pollués et la coopération internationale dépendent des bonnes volontés. C'est l'Assemblée des Etats parties qui examine les demandes d'aide et d'assistance internationales. Cette assistance peut être apportée par des organismes des Nations Unies, des organisations internationales, régionales ou locales, le CICR et les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, des ONG ou de façon bilatérale.

La mobilisation contre les mines est appelée à perdurer une fois le traité signé à Ottawa : "il s'agira alors d'universaliser le traité, de suivre les mesures prises par les gouvernements après la signature (par exemple la ratification et la destruction des stocks) et de chercher à accroître les ressources consacrées au déminage humanitaire et à l'aide aux victimes", estime Jody Williams. Vis à vis de pays à la fois victimes des mines et producteurs, tels le Vietnam, on peut se poser la question de savoir si les différents intervenants qui leur fournissent de l'assistance humanitaire devraient faire davantage pression sur eux pour que leur position évolue.

Section II. L'aide aux victimes

Le développement de capacités locales de lutte contre les mines implique la sensibilisation des populations vivant en zone dangereuse et la prise en compte de leurs témoignages ainsi que le marquage des zones minées et le déminage. L'évolution du droit international ne saurait faire oublier le sort des blessés qui nécessitent toujours une assistance accrue et généralisée.

Les problèmes de coordination entre organisations ne manquent pas. Elles utilisent des techniques variables. Par exemple, pour les prothèses, le CICR utilise le polypropylène, une matière plastique thermoformable, tandis que d'autres organisations utilisent les matériaux disponibles localement ou adoptent la technologie souhaitée par les donateurs. Les dons de matériels médicaux ne sont pas toujours adaptés aux besoins. Les secours sont souvent contraints de travailler en priorité en chirurgie d'urgence en raison de l'afflux soudain de victimes. Lorsque la situation est stabilisée, elles travaillent davantage à organiser les centres orthopédiques.

Le CICR et en particulier son Unité Mines participe efficacement à l'assistance aux victimes. En ce qui concerne les sociétés nationales de la Croix-Rouge, les plus actives dans la lutte contre les mines sont naturellement celles des pays touchés : elles participent aux opérations de sensibilisation au niveau local et peuvent rendre compte des dommages liés aux mines qu'elles constatent sur le terrain.

Handicap International aide les personnes handicapées dans les pays en voie de développement. Cette organisation qui s'occupe de l'appareillage, de la rééducation et de la réinsertion des personnes handicapées s'est trouvée confrontée au problème des mines antipersonnel, une des principales causes de handicap dans les pays en voie de développement, trop souvent ravagés par des conflits meurtriers. Elle apporte aide et assistance aux personnes handicapées de nombreux pays.

Section III. Les actions de prévention et de sensibilisation

Les programmes de sensibilisation des populations au danger des mines ou "Mine Awareness Programme" (MAP), appelés aussi "programmes d'éducation des populations pour la prévention des accidents par mines" (PEPAM) consistent à alerter les populations sur le danger encouru, à les rendre capables d'identifier un engin explosif, à signaler les zones à risques. Ils visent aussi à les inciter à faire pression sur les responsables locaux et nationaux pour entreprendre les opérations de déminage et décider de l'interdiction des mines antipersonnel.

Ces programmes apportent leur soutien aux structures locales d'éducation et de prévention en utilisant les réseaux locaux de diffusion, en coordonnant les initiatives, en mobilisant les moyens de communication, en informant sur l'état d'avancement des opérations de marquage et de déminage. L'assistance aux victimes nécessite le recueil, l'analyse et la circulation des informations liées à chaque incident dû aux mines. Le CICR propose un Système de renseignements sur les mines (SRM) à la communauté internationale. Ce système permet de recueillir pour chaque incident dû aux mines les informations sur chaque aspect de l'assistance et de la prévention. Le concept d'un "système d'information sur les mines" introduit à la Conférence de Tokyo en mars 1997, intégrant les données utiles pour coordonner les opérations de déminage, de sensibilisation et d'assistance aux victimes, doit permettre à tous les acteurs internationaux - Etats, ONG, services de déminage privés - de travailler ensemble de manière plus efficace.

La sensibilisation de masse de la population utilise les relais habituels d'information de la société traditionnelle. Le langage doit être clair, simple et adapté à la population concernée. L'objectif est de réduire autant que possible les comportements à risques. Les enseignants sont sollicités pour apprendre aux enfants à reconnaître les mines, surtout celles qui ont l'aspect de jouets, à identifier les zones minées ou pouvant être minées, à alerter et secourir en cas d'accident, à participer au marquage de circonstance, à ne pas tenter de déminer lors de la découverte d'un engin. Il est important de s'adapter aux circonstances locales.

L'UNICEF et l'UNESCO mènent conjointement des activités de sensibilisation. Les sociétés nationales de la Croix-Rouge participent aux opérations de sensibilisation au niveau local et rendent compte des dommages liés aux mines qu'elles constatent sur le terrain. Depuis 1995, le CICR tient un registre des incidents dus aux mines. L'efficacité des opérations de prévention est limitée par les nécessités liées à la vie quotidienne des populations car il leur est difficile de rester vigilantes à tout instant.

Chapitre III. L'aide aux pays affectés : le déminage

Les opérations de déminage englobent la localisation, la vérification et le marquage des zones minées, la détection, l'enlèvement et la destruction des munitions non explosées.

Section I. La décision de déminer

Peut-on envisager de débarrasser la planète de toutes les mines posées ? Selon la résolution 50/82 de l'AGNU, "le nombre de mines posées chaque année, s'ajoutant à un grand nombre de mines et autres engins non explosés hérités des conflits armés, dépasse de loin celui des mines qui peuvent être neutralisées dans le même laps de temps". Handicap International estime que pendant que deux millions de mines antipersonnel sont posées chaque année dans le monde, seules cent mille sont éliminées dans le même temps dans le cadre de programmes de déminage. Si on arrêtait demain d'utiliser des mines antipersonnel, il faudrait onze siècles au rythme actuel pour enlever les mines déjà posées dans le monde. Cependant, ces estimations génèrent des polémiques entre la Campagne pour l'interdiction des mines et certains démineurs qui craignent de voir les résultats de leur travail sous-estimés.

Pour décider d'une opération, il faut plusieurs conditions. L'opération nécessite la stabilité politique et la cessation des combats. Il ne doit pas y avoir de champs de mines fermés aux démineurs. Les autorités locales doivent garantir la bonne volonté des diverses parties au conflit. Le conflit doit être arrêté et ne pas risquer de reprendre. Les opérations de déminage doivent être organisées en tenant compte de l'ensemble des actions de rétablissement et de maintien de la paix et, dans le cadre des conflits internes, leur pérennité dépend largement du climat politique et de l'effectivité de la réconciliation nationale. Le financement de l'opération doit être assuré. Le point doit être fait sur le potentiel de démineurs locaux formés et de futurs démineurs locaux à former. La décision de déminer doit reposer sur des données objectives.

L'enlèvement d'une mine représente un coût pouvant varier de trois cents à mille dollars US, ce qui est considérable si l'on prend en compte le nombre d'engins disséminés et les capacités financières des Etats concernés. Un démineur est tué et deux autres sont blessés pour cinq mille mines enlevées.

Lent, fastidieux et dangereux, le déminage humanitaire est une activité très coûteuse. Même dans l'hypothèse où l'utilisation des mines antipersonnel serait universellement abandonnée, l'élimination des millions de mines encore actives nécessiterait des fonds considérables sur une longue période. En 1995, 70 millions de dollars ont été dépensés par les Nations Unies pour neutraliser environ cent mille mines. La neutralisation de toutes les mines déjà en service coûterait 33 milliards de dollars. La communauté internationale n'a réuni que trois pour mille de cette somme. L'Union interparlementaire propose que certaines opérations de déminage soient financées dans le cadre de l'aide au développement.

Le Fonds de Contribution Volontaire pour l'Assistance au Déminage créé en novembre 1994 en application de la résolution 48/7 de l'AGNU est géré par le Département des Affaires Humanitaires. Ce fonds mobilise des ressources pour financer des programmes de déminage, recenser les régions minées, trouver l'équipement et les structures spécialisées mais aussi sensibiliser les populations. L'ONU et l'Union européenne sont les plus importants pourvoyeurs de fonds publics pour le déminage. L'ONU soutient des programmes de déminage axés sur la formation de démineurs locaux, en particulier en Afghanistan, au Cambodge, en Angola et au Mozambique. Elle agit en mettant en œuvre des programmes d'assistance au déminage dans le cadre de ses opérations humanitaires (Afghanistan, Iraq) et dans le cadre de ses opérations de maintien de la paix (Mozambique, Somalie) ou de consolidation de la paix après le conflit (Cambodge) mais aussi en Angola, Géorgie, Tchad, ex-Yougoslavie. Le Canada contribue largement au financement d'opérations de déminage en Bosnie, en Angola, au Cambodge, au Laos, en Afghanistan et en Amérique centrale.

La communauté internationale se doit de renforcer l'action qu'elle mène au niveau multilatéral ou bilatéral en vue d'aider les parties à un conflit qui se sont montrées prêtes à coopérer aux activités de déminage, aux campagnes d'information sur le danger des mines et aux programmes de formation dans le contexte des opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Le Département des Affaires Humanitaires de l'ONU est fortement impliqué dans les opérations de déminage.

Le Conseil de sécurité est responsable des opérations de maintien de la paix des Nations unies. L'utilisation inconsidérée et généralisée de mines antipersonnel dans les zones des opérations de maintien de la paix des Nations unies compromet gravement ces opérations ainsi que la sécurité du personnel de l'ONU et autres personnels internationaux. Il souhaite que le déminage opérationnel constitue un élément important et fasse partie intégrante des mandats de ces opérations. Il propose le déploiement rapide d'unités de déminage. Mais le déminage opérationnel dans ces zones relève du département des opérations de maintien de la paix. Le Comité spécial des opérations de maintien de la paix analyse l'expérience acquise en matière de déminage lors des précédentes opérations. Les Nations Unies pourraient désigner un coordonnateur des différentes opérations de déminage. Il devrait coordonner les opérations de deux départements distincts des Nations Unies, puisque les activités de déminage à long terme à des fins humanitaires ne sont pas du ressort du département des opérations de maintien de la paix mais de celui des affaires humanitaires. Il faut passer sans heurt du déminage en tant qu'impératif du maintien de la paix au déminage en tant qu'élément de la consolidation de la paix dans une phase ultérieure.

Les Nations Unies peuvent aussi coordonner les activités liées au déminage entreprises par les organisations régionales, notamment dans les domaines de l'information et de la formation. Il est essentiel qu'une structure de coordination nationale pilote l'opération de déminage. Elle a autorité sur les différents acteurs et se soucie de la cohérence avec le plan de retour des réfugiés. Elle peut déléguer la formation et la supervision de démineurs pour la recherche et le marquage des zones minées, puis la détection et la destruction des mines et munitions non explosées à des ONG. La structure de pilotage doit s'assurer de la formation du personnel apte à développer une capacité nationale de déminage dans les pays concernés et à donner aux populations locales la capacité de résoudre elles-mêmes le problème. Souvent, les organismes donateurs apportent l'aide technique, la formation, le soutien aux organisations locales.

Section II. Les opérations de déminage

En matière de déminage, la réglementation issue de l'article 9 du Protocole II de la Convention de 1980 est fort peu contraignante, voire timide : le recours à la coopération internationale est préconisé sans qu'un régime de responsabilité soit clairement établi.

Le déminage civil vise à réhabiliter une zone dans un contexte de rétablissement de la paix. Il doit donc être clairement distingué du déminage militaire. Ce dernier, destiné à ouvrir rapidement des brèches dans les champs de mines afin de poursuivre les opérations militaires, tolère un important résidu de mines non enlevées. A contrario, les exigences du déminage humanitaire dans l'intérêt des populations civiles sont beaucoup plus rigoureuses puisqu'il requiert un taux de dépollution voisin de 100%. Les opérations de déminage humanitaire, longues, difficiles et dangereuses, consistent à dépolluer en totalité des régions entières afin de permettre le retour à une vie économique et sociale normale. Lorsqu'une mine est repérée dans un champ, c'est tout le champ qui devient suspect et son déminage s'impose sans que la quantité de mines en cause soit connue a priori.

Les premières informations à recueillir sont celles relatives à l'histoire de la zone minée, afin de reconstituer la chronologie des mouvements de troupes occupantes. Les parties à un conflit sont tenues de faciliter les activités de déminage d'intérêts humanitaire et militaire en fournissant des cartes détaillées et autres informations pertinentes concernant l'emplacement des mines qu'elles ont déjà posées et en contribuant, financièrement ou autrement, au déminage. Selon les experts des Nations Unies et des organismes de déminage, la plupart du temps il n'y a ni relevé ni enregistrement des champs de mines. Dans le feu de l'action, au cours d'un conflit armé, il est fréquent que les champs de mines ne soient pas indiqués ni surveillés. Les mines changent de place selon la météorologie et le type de sol, et se déplacent sur des kilomètres si elles sont emportées par de fortes pluies. Les mines mises en place à distance sont extrêmement dispersées et ne font l'objet d'aucun marquage.

Les parties au conflit doivent remettre les relevés cartographiques et les inventaires des secteurs de champs de mines à la structure de coordination nationale qui utilise aussi la base de données mondiale sur les mines supervisée par les Nations Unies. Une bonne connaissance du terrain est indispensable : relief, habitat, infrastructures, hôpitaux, points les plus fréquentés, points présentant les plus grands risques. Mais, même lorsque ces opérations sont réalisées, comme ce fut le cas lors de la guerre des îles Falkland/Malvinas où les forces britanniques ont remis des cartes détaillées, le déminage se révèle difficile.

Les opérations de détection et de désamorçage sont très dangereuses. Soixante-quatre démineurs sont tués au Koweït six mois après la fin de la guerre en Irak. On utilise en général des instruments de détection magnétique qui signalent les matériaux ferromagnétiques. Ce sont des engins portatifs utilisés par une seule personne. Souvent, ils repèrent aussi les nombreux débris métalliques produits pendant les conflits, ce qui rend ce travail très fastidieux. Les mines en plastique avec détonateur chimique sont quasiment indétectables mais des progrès dans la réalisation d'équipements de détection sont en cours. La sonde métallique enfoncée dans le sol par un démineur à genoux est le seul outil dépolluant à 100 % mais elle n'est utilisable que dans un terrain mou. Les chiens peuvent détecter l'odeur particulière échappée des explosifs mais ils se fatiguent vite.

L'opération de désamorçage est très délicate. Une mine en place n'a plus le système de sécurité qui protège son transport. Pour que l'ennemi ne l'enlève pas, elle ne peut plus être neutralisée ; la seule solution est donc l'explosion. Souvent, l'engin est même protégé contre l'enlèvement par un piège extérieur ou par un dispositif interne qui provoque l'explosion à la moindre tentative pour la déplacer ou la neutraliser. Les dispositifs de neutralisation programmables demeurent peu répandus.

"Si la technologie des mines a progressé rapidement dans les années qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, la détection et le déminage n'ont guère évolué. Le matériel utilisé aujourd'hui à cette fin est surtout le fruit de la technologie des années 40. Il est donc très difficile d'assurer le taux de déminage autorisant la réinstallation des populations", affirme le CICR. Dans certains cas, le déminage peut faire appel à des moyens mécaniques mais la compétence des équipes de démineurs demeure un facteur essentiel car le déminage humanitaire peut exiger un ratissage minutieux du terrain et le déminage manuel est considéré comme la technique la plus fiable.

Les activités de déminage doivent, dans toute la mesure du possible, faire appel aux techniques modernes et aux matériels spécialisés appropriés et mettre l'accent sur la création de capacités locales de déminage et le renforcement de celles qui sont déjà en place ; les programmes de formation devraient privilégier cet aspect de la question. Chaque fois que cela contribuerait à l'efficacité opérationnelle d'une opération de maintien de la paix, il faudrait également envisager d'inclure dans le mandat une disposition relative à la formation de capacités locales de déminage. La recherche en matière de protection contre les mines progresse, mais les militaires en bénéficient davantage que les civils.

Le succès d'une opération de déminage nécessite un minimum de coopération de la part des belligérants. Elle peut être compromise par la reprise des hostilités, par la pose de nouvelles mines en raison du climat d'insécurité. Les démineurs peuvent découvrir des modèles de mines de type inconnu et celles-ci peuvent être disposées de façon anarchique. Les partenaires institutionnels locaux peuvent se dérober pour des raisons politiques ou de difficultés économiques. Il est souvent difficile de dégager un consensus entre les protagonistes du déminage quant aux méthodes à employer, tant les situations sur le terrain sont variables.

Section III. La consolidation de la paix

Pour le Secrétaire général des Nations Unis, "l'importance du déminage dans les activités de consolidation de la paix, après une guerre civile ou une guerre internationale est de plus en plus évidente ; on compte en effet aujourd'hui des dizaines de millions de mines dans des zones de conflit actuel ou passé. Le déminage doit figurer en bonne place dans le mandat des opérations de maintien de la paix et il est essentiel à la reprise de l'activité lorsque le moment est venu de la consolidation de la paix : ainsi, il n'est possible de relancer l'agriculture qu'après le déminage ; le redémarrage des transports peut exiger que des routes à revêtement en dur soient construites pour prévenir la pose de nouvelles mines. En pareil cas, le lien entre maintient de la paix et consolidation de la paix est évident".

Quelques propositions peuvent rendre plus efficaces la prévention, le déminage et l'aide aux victimes : une meilleure coordination entre les acteurs et une meilleure information locale grâce à des évolutions technologiques telles que l'utilisation des systèmes d'informations géographiques et des bases de données, la modernisation des techniques de déminage selon des normes internationales, l'amélioration des techniques de soins et d'appareillages.

 

Le coût humain des conflits à travers le monde est encore plus terrible que le coût financier de l'aide aux victimes et l'assistance au déminage. Les combattants, les civils paient un trop lourd tribut à cette arme sans maître. Les corps meurtris, les vies brisées plongent des communautés entières dans une profonde misère. Cette "épidémie mondiale de blessures provoquées par les mines antipersonnel" ne peut être enrayée que par une volonté politique qui parvienne à interdire les mines antipersonnel, à signaler les zones minées, à procéder au déminage humanitaire, à décourager les comportements à risques, à prendre en charge les victimes.

Conclusion

Les mines antipersonnel continuent à être disséminées sur la planète et le nombre de blessures et de morts continue d'augmenter. Renverser ce processus, c'est faire en sorte que plus jamais le nombre de mines posées ne dépasse le nombre de mines enlevées et c'est sauvegarder la vie des victimes potentielles. Le seul moyen est d'arriver à l'interdiction totale de l'emploi, du stockage, de la production et du transport des mines antipersonnel et parallèlement d'accroître les interventions de déminage. Le Traité d'Ottawa qui devrait être signé le 3 décembre prochain sera l'éclatante victoire des ONG et de la volonté populaire. C'est le travail acharné des ONG qui a déclenché ce vaste mouvement d'opinion et cette prise de conscience planétaire. Il est juste que le Prix Nobel de la Paix attribué à Jody Williams et à la Campagne internationale récompense tant d'efforts.

Voici le point de vue du CICR sur le Traité d'interdiction totale : "Jamais auparavant une arme aussi largement utilisée par les forces armées dans le monde entier n'avait été interdite totalement en raison du coût inacceptable de son emploi en termes de souffrances humaines. Jamais non plus auparavant, n'avait-on osé interdire en une seule fois la mise au point, la production, le transfert et le stockage d'une arme. Cette nouvelle Convention, qui sera ouverte à la signature le 3 décembre à Ottawa, est le résultat d'une coopération exceptionnelle entre les Etats, la société civile et des organisations internationales face à une crise humanitaire mondiale."

Il reste que des pays puissants comme la Chine, l'Inde, le Pakistan, l'Iran mais aussi les Etats-Unis refusent de signer. Quel sera l'impact de ce traité qui vise surtout à interdire rapidement et totalement l'utilisation, la production, le stockage et le transfert des mines antipersonnel mais dont la portée ne sera pas universelle ? La forte pression de l'opinion publique doit pousser les Etats à donner rapidement leur accord pour que le Traité d'Ottawa entre rapidement en vigueur et à prendre des mesures nationales pour faire respecter ses dispositions liées à l'interdiction. Paul Vermeulen, directeur de Handicap International Suisse, lance un appel "pour que le traité entre en vigueur avant l'an 2000 ! : "Handicap International et la Campagne Internationale soutiendront, avec le CICR, toutes les initiatives diplomatiques au service d'une entrée en vigueur du Traité avant l'an 2000. […] On peut imaginer les atermoiements et les pressions qui pourront faire obstacles à ce processus si le nombre des pays signataires du Traité demeure peu élevé. Le déminage, l'appareillage et la réintégration socio-économique sont partie intégrante de l'esprit humanitaire du Traité. Cependant, pour modifier le quotidien des populations victimes des mines, l'engagement devra être financier et structurel, sans se limiter à l'achat d'une bonne conscience sur le modèle américain, qui ne craint pas de promettre un milliard de dollars par an jusqu'en 2007 pour l'aide au déminage, sans signer le Traité d'interdiction des mines ! Dans ce domaine, comme dans celui de la moralisation des échanges diplomatiques et commerciaux au service de l'universalisation du Traité, la Suisse doit jouer un rôle leader exemplaire".

Que ce soit à partir du Traité élaboré à Oslo ou dans le cadre de la Conférence du désarmement, il sera difficile de rallier rapidement au principe de l'interdiction totale un certain nombre d'Etats dont la position sur le sujet évolue lentement, même si l'attribution du Prix Nobel de la Paix aux partisans de cette interdiction contribue à une accélération du processus. Certains Etats appellent de leurs vœux une complémentarité entre ces deux approches. Ils sont attachés à la Conférence du désarmement qui peut mieux inclure tous les grands pays producteurs mais également au Processus d'Ottawa. L'élaboration du traité d'Ottawa ne met pas un terme à la nécessité de poursuivre les négociations.

Le Traité d'Ottawa prévoit des systèmes de vérification souples, inspirés de la Convention de 1993 relative aux armes chimiques. Les limites de la réglementation ne doivent pas être occultées : le Traité sera certainement difficile à mettre en œuvre compte tenu du trafic d'armes et de la possibilité de fabriquer artisanalement des mines. Mais si cette nouvelle réglementation prouve son efficacité, cela constituera un progrès significatif du droit humanitaire. Le Comité Nobel estime que le Processus d'Ottawa pourrait jouer un rôle décisif en faveur de la paix et du désarmement en tant que modèle pour des processus similaires à venir.

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CV Marika Demangeon

Marika Demangeon, doctorante en droit international à Paris X Nanterre
voir aussi Aequalitas, portail de la lutte contre les discriminations