Droits de l'Homme et action humanitaire

Naissance du Conseil national pour les libertés en Tunisie

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Source : La nouvelle lettre de la FIDH, n°8, 14 janvier 1998

Le 10 décembre dernier, jour du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, une trentaine de personnalités tunisiennes annonçait la création d'un Conseil national pour les libertés en Tunisie. Une information d'importance quand on sait l'état désastreux de la liberté d'association dans ce pays et combien les rares associations soucieuses de leur indépendance payent au prix fort leur engagement. C'est le cas en particulier de la Ligue tunisienne, la plus ancienne association de droits de l'Homme indépendante au Maghreb, qui est l'objet d'un musellernent et d'une répression régulièrement relatés dans la Lettre. Dans ce contexte, la FIDH espère que le Conseil national pour les libertés en Tunisie aura la possibilité de faire ses preuves, en convergence avec la Ligue tunisienne, et fera son possible pour le soutenir.

Dans ce numéro, K. Cherif, co-fondatrice du Conseil, explique la naissance de cette organisation.

Déclaration constitutive (extraits) et interview.

 

L'histoire de l'humanité nous confirme chaque jour cette vérité, que la liberté n'est pas le couronnement du développement, mais bien sa condition première. Ainsi que l'ont démontré les expériences de toutes les nations, aucun peuple délesté de sa liberté n'a jamais réussi à concrétiser ses aspirations à la justice, au progrès, à la souveraineté, à la dignité et au bien-être. Aussi, il n'existe de nos jours nul peuple qui n'ait fait de la liberté l'objectif et l'instrument de son combat.

La marche de notre peuple vers ces buts s'est accélérée tout le long de ce siècle. Mais ses ambitions ont buté et butent toujours contre un système politique qui n'a pas su répondre à ses aspirations, en dépit du rôle positif qu'il a joué dans la fondation de l'Etat et la modernisation de la société. Le régime a continué à imposer la tutelle de l'Etat sur une société soumise, où il n'y pas la moindre place pour les libertés individuelles et publiques les plus élémentaires, refusant tantôt par la répression, tantôt par les tergiversations d'engager les réformes que le peuple appelle de ses voeux et que l'évolution des temps modernes et l'environnement dans lequel nous vivons ont rendues impératives.

La pratique politique du pouvoir s'est caractérisée par une inflation de textes de loi et un discours axé sur le respect des droits de l'Homme et la libération des femmes ; au même moment où l'Etat de droit était vidé de sa substance et la société réduite au silence, creusant de jour en jour l'écart entre le discours et la pratique.

Ce divorce entre la société et l'Etat a été à l'origine d'un conflit qui a pris plusieurs formes et auquel la citoyenneté a payé un lourd tribut fait de graves violations qui se sont amplifiées ces dernières années, touchant tous les domaines de la vie publique et privée.

Du fait de ces graves abus, la peur et la prudence ont gagné tous ceux dont l'opinion diffère peu ou prou de celle du pouvoir. Les espaces de réflexion, d'expression et de créativité se sont rétrécis par le fait de la censure et de l'autocensure.

Qui plus est, le pouvoir s'est appliqué à instaurer une étroite surveillance des institutions en charge de l'éducation, de la culture et du sport. Ni les mosquées, ni les hôtels n'ont échappé au quadrillage. Divers ministères ont émis des circulaires exigeant, pour toute activité scientifique ou culturelle, toute manifestation sociale quelle qu'elle soit, que la liste des participants ainsi qu'une copie des interventions soient soumises au préalable au ministère de l'intérieur.

Toutes ces entraves sont de la même inspiration que les lois répressives régissant l'information. Le dépôt légal est devenu une arme entre les mains du ministère de l'intérieur contre tous les journaux et publications qu'elles soient nationales ou étrangères . La liberté d'opinion et d'expression est devenue un privilège accordé aux uns, refusé aux autres, par un pouvoir monopolisant tous les moyens d'information, démettant, et parfois emprisonnant des journalistes. Cette situation a entreiné la disparition de journaux indépendants, tandis que l'on vit se multiplier les titres reproduisant le discours officiel, par ailleurs propagé par l'agence officielle de l'information.

L'absence de tout contre-pouvoir, et surtout d'une presse libre, a permis d'occulter le développement de la corruption et l'opacité dans la gestion publique.

La loi sur les partis et les associations a accordé au ministre de l'intérieur un pouvoir absolu faisant du droit d'association, un monopole des partisans du régime. Les associations antérieures à cette loi, qui se sont montrées récalcitrantes et attachées à leur indépendance, ont été ciblées et soumises par diverses méthodes d'encerclement et d'absorption.

Il en a été de même avec la liberté de circulation. La nouvelle loi sur les passeports qui les limite davantage implique la justice dans des affaires où l'initiative vient toujours de la police'.

Assimilant tout citoyen usant de son droit de critique à un traître à la patrie, le pouvoir établit délibérément une confusion entre la fidélité à la patrie, un concept sacré et immuable, et l'allégeance, changeante et éphémère.

Toutes ces pratiques ne visent qu'un objectif : quadriller tous les domaines de la vie quotidienne des citoyens. L'obsession sécuritaire est devenue le principal moteur du pouvoir, et la partialité manifeste de l'administration a convaincu la majorité des citoyens que seule l'allégeance peut leur permettre de résoudre leurs problèmes quotidiens et éviter les tracasseries.

L'exercice des libertés fondamentales libertés de vote, d'expression, d'association, de circulation, mentionnées dans la Constitution a été laissé au "cadre défini par la loi", ce qui laisse tout loisir de retirer par la main droite ce qu'on a donné par la main gauche. En effet, on s'est évertué, dans la majorité des lois organisant ces libertés, à en restreindre l'exercice et à conforter le pouvoir discrétionnaire du ministère de l'intérieur.

Dans ce contexte incompatible avec les règles de gouvernement d'une société démocratique, l'alternance, pilier fondamental de toute démocratie, est loin d'être à l'ordre du jour.

Le véritable pluralisme reposant sur l'existence de contre-pouvoirs comme les partis politiques, les syndicats, les associations, les organes d'information, ne peut s'exercer en l'absence des libertés fondamentales et d'un régime démocratique moderne, essentiellement garanti par l'équilibre des pouvoirs.

 

Interview de Rhedija Cherif, membre fondatrice du Conseil national pour les libertés en Tunisie

 

Comrnent est née l'idée d'un Conseil national pour les libertés en Tunisie ?

Il y a quelques mois, des hommes et des femmes de sensibilités diverses, mais liés par la volonté de contribuer au renforcement de la société civile en Tunisie, ont décidé de créer une nouvelle association, avec pour objectif premier de multiplier ainsi les espaces de défense des libertés en élargissant le tissu associatif. Le Conseil se veut complémentaire et solidaire du travail des organisations tunisiennes de défense des droits de l'Homme, au premier rang desquelles la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (LTDH). En Tunisie, les libertés ne sont pas offertes, elles s'arrachent ; plus nous seront nombreux à agir dans ce sens, et plus notre action aura de portée.

Quelles démarches ont été entreprises par les membres fondateurs pour mettre en place le Conseil ?

L'expérience de la LTDH et d'autres associations tunisiennes montre bien que l'action en faveur de la défense des libertés et des droits de l'Homme est très difficile à mener en Tunisie et queue comporte souvent des risques. Mais nous espérons que les autorités adopteront une attitude d'ouverture à notre égard. Nous avons d'ailleurs d'emblée décidé que nous ne travaillerions que dans la légalité et dans la transparence. Nous avons donc transmis un dossier aux autorités qui l'ont reçu, sans toutefois nous donner en retour un récipicé. Cependant, nous leur avions également envoyé le dossier par lettre recommandée et nous avons donc une trace du dépôt. Nous attendons maintenant l'expiration du délai légal de trois mois, à compter de la date de dépôt du dossier, avant de commencer nos activités. En vertu de la toi, passé ce délai, l'absence de réaction des autorités équivaut à leur accord.

Quelles seront alors vos principaux champs d'action ?

Le Conseil développera son action au plan institutionnel, autour de la défense des droits de l'Homme et des libertés. Il ne travaillera pas sur des cas individuels ; en cela aussi son action sera complémentaire de la LTDH. Il ne constituera pas une plate-forme politique, mais plutôt un contre-pouvoir, en vue de faire avancer la Tunisie vers la démocratie. il prendra donc position sur les violations des droits de l'Homme, chaque fois que nécessaire, sur la législation tunisienne, sur sa conformité avec les instruments internationaux de protection des droits de l'Homme et sur la manière dont elle est appliquée en Tunisie, qu'il s'agisse du droit à l'intégrité physique et de l'interdiction de la torture, du droit à la liberté d'opinion et d'expression, etc.

Le Conseil ne débutera officiellement ses activités que le 15 mars prochain, ce qui nous laisse encore du temps pour mettre au point notre fonctionnement et réfléchir sur des stratégies d'action, mais cela ne nous empêchera pas de réagir aux événements si les circonstances l'exigent.

Propos recueillis par Sara Guillet

Marika Demangeon  - Mise à jour le 03 janvier 2001 haut de page

 

 

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CV Marika Demangeon

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publié par Marika Demangeon, doctorante en droit international à Paris X Nanterre et juriste